2. Une caméra entée sur l’« entre deux personnes »

« Mais comme chez Garrel on aime autant la morale que la dialectique […]. »
Philippe Azoury.

Dans Les Baisers de secours, la seconde séquence où Matthieu se trouve au café avec son père est, contrairement à ce qui se passait dans la première, filmée en plan unique [séq. 21]. Tout au long de ce plan, c’est surtout le père qui parle et, comme pour accroître l’importance de sa parole, la caméra reste la majeure partie du temps braquée sur son visage. Matthieu, quant à lui, reste un long moment cantonné dans le hors-champ, invisible. Ce n’est qu’au moment où lui-même prend la parole, pour confier à son père son impression que Lo se détache de lui depuis sa séparation d’avec Jeanne, qu’il se fait visible. La caméra le délaissera encore un instant, avant de faire une dernière fois retour sur lui et inclure son visage et celui de son père dans un même champ. Mais la séquence s’achève au moment où la caméra revient sur le visage du père, seul.

Ce plan des Baisers de secours peut être distingué, parmi d’autres qui auraient tout aussi bien pu être convoqués, en raison de son caractère emblématique dû au minimalisme du dispositif de mise en scène. Ce plan paraît, en effet, hautement représentatif du rapport problématique qui peut s’établir entre une situation entre deux personnes et la manière de la filmer, parce que l’absence de déplacement physique des personnages (ils ne font que des mouvements) ne rend en rien « obligatoires » les mouvements de caméra. Les choix de cadrages et les panoramiques s’inscrivent donc d’emblée sur le terrain d’une « monstration à énonciation marquée » 364 , qui invite à entendre, autant que la singularité d’un regard et la présence manifestée du monstrateur, une volonté de problématisation de la situation. Ici, la relation qui s’établit entre la situation et la manière de la filmer est donc immédiatement problématique. Il va donc s’agir de tirer les principaux enjeux problématiques de cette relation. Mais de tels enjeux font nécessairement écho à ce qui se joue dans d’autres séquences entre deux personnes, parce que la structure de base de ces situations, à savoir la co-présence, se retrouve dans chacune. De ce fait, le déroulé de ces enjeux problématiques amènera à envisager d’autres séquences particulièrement représentatives de l’esthétique garrelienne dans les films de la quatrième période.

Notes
364.

André Gardies, Le Récit filmique, op. cit., p. 105.