3. Refuser le champ-contrechamp

Dans Une caméra à la place du cœur, Thomas Lescure souligne une particularité esthétique du cinéma de Philippe Garrel dans certains films antérieurs à la quatrième période :

‘« […] c’est peut-être ta façon de filmer les dialogues […] qui exprime le mieux ton originalité, comme si tu éprouvais un malin plaisir à éviter le champ-contrechamp. C’est ainsi que dans Le Lit de la vierge, Marie, dont on aperçoit seulement la main – elle est masquée par une porte noire – parle à Jésus silencieux, habillé de blanc. La division de l’écran entre noir et blanc redouble donc celle de l’espace sonore entre parole et silence.’

Autre remarquable offense au rituel du champ-contrechamp, cette séquence de L’Enfant secret qui montre Elli, le personnage que joue Anne Wiazemsky, assise dans un wagon de chemin de fer alors qu’elle vient d’apprendre la mort de sa mère : “Si je n’avais pas fait ton film”, dit-elle à son ami Jean-Baptiste, “j’aurais pu la revoir”. À ce moment, il y a bien un contrechamp, mais au lieu de cadrer comme on pouvait s’y attendre le visage de Jean-Baptiste, la caméra découpe dans la vitre du compartiment un rectangle de lumière vide. Quelques instants plus tard, la main de Jean-Baptiste, qui vient caresser la joue d’Elli, confirme aux spectateurs qu’il était bien assis en face d’elle. » 401

Le cinéma de Philippe Garrel d’avant la quatrième période aurait ainsi fait preuve d’un refus d’utiliser le champ-contrechamp pour donner à voir des conversations, c’est-à-dire le plus souvent des situations entre deux personnes. Philippe Garrel aurait donc filmé contre l’une des figures de montage les plus usées de la syntaxe cinématographique.

Notes
401.

Op. cit., p. 53.