Facticité de la situation dramatique

Si l’on peut considérer que le principe d’unité temporelle qui accompagne tout plan renforce les principes d’unité spatiale et d’unité dramatique inhérents à la « scène filmique » dès lors qu’il y a plan-séquence en caméra mobile, c’est parce que cette unité temporelle leste d’un poids de facticité supérieur et la « scène filmique » et ce qui se déroule sur cette scène. Facticité supérieure de la scène filmique avant tout parce que son unité spatiale s’impose au spectateur, que cette scène soit habitée d’une situation dramatique ou pas. D’abord parce qu’elle renforce l’homogénéité de cet espace en concrétisant le passage du champ au hors-champ, en prouvant leur « mise en communication » 419 . Ensuite, parce qu’en devenant mobile la caméra provoque nécessairement un mouvement d’exploration de l’espace de la scène, fût-il très limité : en donnant à voir l’espace, elle marque aussi par là son inscription dans l’espace qu’elle donne à voir. Mais facticité de la situation dramatique aussi, parce que seul un plan-séquence garantit l’unité de cette situation dans sa globalité. Quand la situation dramatique d’une séquence est transmise en plusieurs plans au spectateur, son unité globale est à inférer de la construction filmique : l’unité est une unité de droit, postulée à partir de l’assemblage de fragments de cette situation. Mais, en retour, c’est précisément l’unité postulée de la situation dramatique qui assure en grande partie la cohérence de l’assemblage. En revanche, avec un plan-séquence, l’unité temporelle assure à la situation dramatique dans sa globalité une unité qui est désormais beaucoup plus de l’ordre du fait que de l’ordre du droit. L’unité de la situation n’est plus à déduire d’une construction filmique, mais à constater dans l’unité temporelle de la continuité de son effectuation. Ainsi, seule l’unité temporelle d’un plan-séquence en caméra mobile permet de tirer aux maximum 420 la « scène filmique » du côté du fait, parce que seule cette option de filmage renforce la facticité et de l’unité spatiale et de l’unité dramatique qui lui est corollaire.

On voit dès lors tout ce qu’a d’important sur le plan de la représentation l’option de filmage de la séquence du Cœur fantôme. Contrairement à une monstration en champ-contrechamp, ce plan-séquence mêlant travellings et panoramiques assure d’abord à la « scène filmique » un caractère de plus grande facticité par les mouvements exploratoires de la caméra. Mais unité temporelle du plan-séquence et facticité de la « scène filmique » sont surtout ici au service de la facticité de la situation dramatique entre deux personnes, puisque la caméra est entée sur la situation dès l’instant où Philippe et son ami apparaissent dans le plan. Quand la discontinuité d’un montage en champ-contrechamp permet toujours de laisser suspecter une reconstruction purement filmique de l’unité d’une situation entre deux personnes, l’unité temporelle du plan-séquence réassure ici en tant que fait l’unité et l’intégrité dramatique de la situation entre deux personnes. Ce qui s’impose au premier plan, c’est le surcroît de facticité de la situation dramatique. Surcroît de facticité qui vaut d’abord pour ce qui est la base structurale d’une telle situation : la co-présence et le lien qui lui est inhérent. Loin d’être indécidable, la co-présence apparaît ici comme un fait constatable et constaté.

Notes
419.

Jacques Aumont considère que l’hypothèse de la « scène filmique » repose en partie sur le fait que « le déroulement temporel de l’histoire racontée, du récit, impose la prise en considération du passage permanent du champ au hors-champ, donc leur mise en communication immédiate. » Cf. op. cit., p. 16. Mais, avant tout récit, c’est bien la mobilité de la caméra qui rend active le passage et la communication.

420.

Nous disons de la « scène filmique » qu’elle est tirée au maximum du côté du fait et non qu’elle bascule complètement du côté du fait parce qu’une « scène filmique » ressortit malgré tout à l’ordre d’une construction intellectuelle.