Définition du récit

 Pour André Gaudreault un « message » devient un récit lorsqu’il est considéré comme « narratif », c’est-à-dire « lorsqu’il présente un sujet quelconque inscrit dans un quelconque procès de transformation, et qu’ainsi le sujet soit placé dans un temps t, puis t + n et qu’il soit dit ce qu’il advient à l’instant t + n des prédicats qui le caractérisaient à l’instant t. » 444 Cette définition a plusieurs avantages dans la perspective de recherche d’André Gaudreault. Premièrement, elle ménage explicitement une place à l’acte d’énonciation qui se trouve à l’origine de tout récit. Car postuler comme nécessaire que « soit dit » ce qu’il advient des prédicats, c’est automatiquement inscrire le récit dans la situation de communication qui le fonde entre un narrateur et un narrataire. Deuxièmement, si André Gaudreault formule la définition en ces termes, c’est qu’elle se trouve alors située, selon la distinction qui lui permettra par la suite d’établir un véritable « système » du récit proprement filmique, du côté d’une « narratologie de l’expression » 445 , c’est-à-dire une narratologie qui prenne en compte le médium particulier à travers lequel l’histoire 446 est communiquée. En effet, le terme « quelconque » sur lequel Gaudreault insiste à deux reprises dans sa définition lui permet de raccrocher à l’ordre du narratif n’importe quel plan cinématographique 447 , parce qu’il est dans la nature de l’image mouvante d’être inscrite dans un procès de transformation 448 . À cette condition près que les photogrammes qui la constituent en s’enchaînant ne soient ni totalement différents (il n’y aurait pas en ce cas conservation des prédicats) ni totalement semblables (il y aurait en ce cas inertie des prédicats).

Notes
444.

André Gaudreault, Du littéraire au filmique, op. cit., p. 45. La définition de Claude Brémond diffère peu : « Quelles sont […] les conditions minimales pour qu’un message puisse être considéré comme communiquant un récit ? Que par ce message, un sujet quelconque (animé ou inanimé, il n’importe) soit placé dans un temps t, puis t + n et qu’il soit dit ce qu’il advient à l’instant t + n des prédicats qui le caractérisaient à l’instant t. » Cf. Claude Brémond, Logique du récit, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1973, pp. 99-100. On voit que c’est le critère de la transformation qu’André Gaudreault ajoute à la définition de Brémond.

445.

On sait que dans le champ de la narratologie, nombre de théoriciens propose un départ entre une « narratologie de contenu » et une « narratologie de l’expression ». Contrairement à la narratologie de l’expression, la narratologie de contenu, c’est-à-dire des contenus narratifs, s’intéresse au récit indépendamment du médium qui le prend en charge.

446.

Nous employons le terme d’histoire à dessein. En effet, André Gaudreault un peu plus loin dans son étude, postule en s’inspirant des travaux d’Emile Benveniste que tout récit est en définitive une réalité à deux faces inscrite au point de tension entre « d’une part l’univers diégétique et d’autre part l’agent organisateur de ce monde. » En ce sens, tout récit conjugue alors « un discours (d’une instance racontante) et une histoire (du monde raconté). » Cf. op. cit., p. 78.

447.

Ce qui amène André Gaudreault à formuler l’une des hypothèses majeures de son ouvrage, qu’il édicte en ces termes : « Le message filmique est assailli de toute part par la narrativité » et « l’énoncé cinématographique, à moins de se nier, ne peut que très difficilement et tout à fait exceptionnellement se soustraire à l’ordre du narratif. » Cf. op. cit., p. 44. Il y a là un point de désaccord entre André Gaudreault et André Gardies. Ce dernier, en effet, suggère que faire basculer automatiquement le plan – c’est-à-dire le véhicule géré par l’instance de monstration – du côté du narratif ruinerait toute possibilité pour le cinéma de se faire descriptif. Pour cette raison, André Gardies postule que la monstration est en réalité un « fait du langage cinématographique », impliquée différemment dans la narration et la description qui, elles, sont des « faits de discours ». De la sorte : « Qu’au sein d’un récit filmique la monstration puisse apparaître comme “narrative” tient au fait qu’elle participe de la stratégie narrative qui, en surplomb, régit l’ensemble de l’énoncé ; elle n’est pas narrative en soi. » Cf. Décrire à l’écran, op. cit., p. 39. Mais dans la perspective qui nous occupe, la dimension nécessairement narrative ou non du plan cinématographique importe peu.

448.

C’est la raison pour laquelle André Gaudreault peut affiner la distinction entre narratologie de contenu et narratologie de l’expression en postulant l’existence de deux types de narrativité : une « narrativité extrinsèque », qui concerne les contenus narratifs, et une « narrativité intrinsèque », qui elle concerne les matières de l’expression du médium. Par conséquent, un récit filmique, en raison du caractère mouvant de sa matière de l’expression essentielle – l’image mouvante – fait se rencontrer et combine les deux types de narrativité. Cf. op. cit., p. 43.