La transformation : plus petit dénominateur commun

Dans le cadre restreint de cette étude, cette définition apparaît surtout intéressante en ce qu’elle établit le principe de la « transformation » comme le plus petit dénominateur commun à toutes les formes narratives. Un peu auparavant dans son étude, André Gaudreault avançait déjà l’hypothèse qu’un texte est susceptible d’être porteur de narration dès l’instant où les unités informatives qu’il communique sont reliées entre elles par une « relation de succession » et inscrites dans un « rapport de transformation » 449 . Il s’agissait à ce niveau de développement de son étude de la définition la plus « minimaliste » 450 que l’on puisse donner du récit ou plus exactement de la narrativité. Mais fort de la définition précise du récit avancée plus haut, André Gaudreault peut en arriver à restreindre encore le critère de la narrativité au seul principe de la transformation (ou modification 451 ) pour la raison que ce principe englobe nécessairement celui de la succession. Pour qu’il y ait transformation, il faut en effet que l’objet de la transformation passe d’un état à un autre selon un ordre de succession qui est celui de la transformation même 452 . On en conclura donc que raconter a pour essence de narrer une transformation, c’est-à-dire de rendre sensible une évolution, un changement, un devenir : le plus classiquement, ce sera celui d’un ou plusieurs personnages. Au fond, Pascal Bonitzer, sous une forme plus intuitive et poétique, n’avance pas une autre idée quand il affirme que « raconter veut dire savoir vieillir, et raconter c’est toujours raconter un vieillissement » 453 ou qu’un scénario est « toujours l’histoire d’un vieillissement ou d’un rajeunissement », qu’il est « un devenir quelque chose en tout cas. » 454

Notes
449.

Op. cit., pp. 33-34. André Gaudreault reprend là une proposition de Tzvetan Todorov. Cf. Tzvetan Todorov, Les Genres du discours, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1978, p. 66.

450.

Cette définition minimaliste n’est pas à confondre avec celle du « récit minimal » ou « séquence narrative minimale », avec laquelle André Gaudreault prend bien soin de la distinguer. Pour marquer leurs différences, André Gaudreault montre que, selon la définition minimaliste, La Sortie des usines Lumière (France, 1895) et L’Arroseur arrosé (France, 1895) sont des vues également narratives, quand seul L’Arroseur arrosé fait vraiment récit à l’aune du « récit minimal ». Cf. op. cit., pp. 39-42.

451.

André Gaudreault fait de la transformation et de la modification des termes quasiment synonymes dans sa démonstration. En réponse à Roger Odin, qui lui reproche cette opération de réduction du récit à la seule transformation « car il est bien clair qu’il peut exister des transformations qui ne mettent pas en œuvre la temporalisation : par exemple, la métaphore », Gaudreault rétorque qu’il « ne faut pas oublier [qu’il] utilise le mot “transformation” au sens de modification. » Cf. op. cit., p. 46 (note 20). Les réserves de Roger Odin se trouvent dans « Du spectateur fictionnalisant au nouveau spectateur : approche sémio-pragmatique » in Iris n° 8, « Cinéma et narration 2 », 1988, pp. 121-139.

452.

André Gaudreault s’en réfère à Tzvetan Todorov pour expliciter ce point. Ce dernier explique : « La transformation représente justement une synthèse de différence et de ressemblance, elle relie deux faits sans que ceux-ci puissent s’identifier […] elle est une opération à double sens : elle affirme à la fois la ressemblance et la différence ; […] elle permet au discours d’acquérir un sens sans que celui-ci devienne pure information ; en un mot : elle rend possible le récit et nous livre sa définition même. » Cité dans : André Gaudreault, op. cit., p. 46.

453.

Pascal Bonitzer, « Personnages et événements » in Pascal Bonitzer et Jean-Claude Carrière, Exercice du scénario, Paris, FEMIS, coll. « Écrits/Écrans », 1990, p. 113. Pour Pascal Bonitzer, Zazie dans le métro de Raymond Queneau a de ce point de vue une « dimension archétypale » en raison du « J’ai vieilli » par quoi le roman s’achève.

454.

Cf. Pascal Bonitzer cité dans : Michel Chion, Écrire un scénario, Paris, Cahiers du cinéma/INA, 1985, p. 96.