Transformation d’un rapport : des fables de l’interrelation

Cette singularité des récits garreliens invitent à comprendre que d’un point de vue narratif la transformation de l’« entre deux personnes » est d’abord et essentiellement modification du rapport interpersonnel qu’il contient. Ce sont les variations, parfois très subtiles, parfois difficiles à déchiffrer, du rapport entre deux personnages qui fait la matière première du récit. De ce fait, les récits de Philippe Garrel consistent d’abord à dérouler le fil d’un rapport sans cesse changeant comme vibrent les ondes. Ce rapport, nous n’entendons pas le réduire à l’une ou l’autre de ses dimensions (psychologique, physique, émotionnelle, éthique, etc.) ou, au contraire, à l’éclater dans la variété de ses dimensions. Il s’agit plus abstraitement d’analyser certaines caractéristiques globales de la transformation du rapport interpersonnel en tant que « rapport entre », même si en étudiant tel ou tel rapport l’accent pourra être porté sur l’une ou l’autre de ses dimensions. Si, toujours, il « se passe quelque chose » dans les films de Philippe Garrel en dépit de leur caractère très épuré, c’est que le rapport est par définition ce qui se passe quand il est conçu comme « rapport entre » et n’est rien d’autre que cela. Jean-Luc Nancy souligne les évolutions du sens du terme rapport et constate que

« si les sens premiers de “rapport” ont été du côté de ce que j’appellerais le rapport-de, en revanche le sens contemporain est beaucoup plus celui qu’il faut désigner comme le rapport-entre (ou bien, si l’on veut se tenir plus près du précédent, comme le rapport-de… à). » 464

Or, en ce dernier sens, « le rapport désigne alors très exactement ce qui n’est pas la chose : ce qui n’est aucune chose […], mais ce qui […] se passe entre des choses, d’une chose à l’autre. » 465 C’est la raison pour laquelle ce que Jean-Luc Nancy nomme « l’ontologie du rapport » est une ontologie paradoxale parce que « le rapport n’est rien d’étant », mais est 466 ce qui « a lieu entre les étants. » 467 Ce qui se passe, ce qui arrive la majeure partie du temps dans les films de Philippe Garrel, c’est donc d’abord le rapport même en tant qu’il ne cesse de varier et de se transformer entre deux personnes. En ce sens, les récits de Philippe Garrel dans les films de la quatrième période peuvent être nommés en premier lieu des fables de l’interrelation.

Notes
464.

Jean-Luc Nancy, L’« il y a » du rapport sexuel, Paris, Galilée, coll. « Incises », 2001, p. 19. 

465.

Op. cit., p. 19.

466.

Selon Jean-Luc Nancy, si le rapport est, c’est « selon le mode d’être qui n’est justement pas l’étantité. » Ibid., p. 21.

467.

Ibid., p. 21.