Conception naratologique de l’événement

Cependant, au contraire d’une conception qui ferait de tout ce qui arrive au cours d’un récit un événement (ce que la définition de Christian Metz peut induire), on peut considérer qu’il n’y a événement en narratologie que lorsque apparaît un élément qui bouleverse un équilibre antérieur 484 . L’événement est donc ce par quoi une transformation s’opère et qui donne l’essentiel de son poids dramatique à cette transformation. De ce point de vue, il est inévitable que la narration dans les films de la quatrième période consiste en grande partie à « développer l’événement », selon une formule de Pascal Bonitzer 485 , c’est-à-dire à mettre en place une série de conséquences plus ou moins importantes enchaînées selon une logique de causes et d’effets à partir du moment où l’on considère les choses de manière abstraite. Il s’agit là d’un des maillages les plus classiques et les plus reconnus de la narration, comme certaines acceptions du terme récit le mettent en évidence 486 . Dans J’entends plus la guitare le retour de Marianne auprès de Gérard représente un événement qui entraîne quelques conséquences funestes [séq. 26]. La très rapide descente du couple dans l’enfer de l’héroïne et les délires suicidaires de Gérard sur l’amour qui peut tenir lieu de tout ne sont pas les moindres de ces conséquences. Mais l’une des singularités des récits garreliens est aussi de ménager une place non négligeable aux moments d’inversion, voire de subversion d’une telle logique, où l’événement fait moins événement pour les développements qu’il entraîne que parce qu’il sert de révélateur à des développements et transformations qui lui sont antérieurs. Le procédé peut consister alors à faire connaître au spectateur l’événement avant la transformation, transformation qui est alors à déduire rétrospectivement de l’événement.

Notes
484.

Comme le souligne Jacques Gerstenkorn, « les narratologues, réutilisant une notion élaborée par les théoriciens de l’information, notamment Abraham Moles et Edgar Morin, définissent [l’événement] comme un incident qui déséquilibre une situation donnée et qui, par-là, déclenche ou relance le récit. » Cf. Jacques Gerstenkorn, « L’Art du conte », art. cit., p. 24.

485.

Op. cit., p. 115. Souligné par l’auteur.

486.

Cf. par exemple, la définition du récit que propose David Bordwell et Kristin Thompson dans L’Art du film : « Nous pouvons considérer qu’un récit est une chaîne d’événements liés par des relations causales, se déroulant dans le temps et dans l’espace. » Cf. David Bordwell et Kristin Thompson, L’Art du film, une introduction (1979), trad. fr., Bruxelles, De Boeck Université, coll. « Arts et cinéma », 2000, p. 118.