L’exemple majeur d’un tel procédé se trouve dans la scène des retrouvailles de Jeanne et Matthieu dans Les Baisers de secours [séq. 29]. On peut voir apparaître dans cet exemple un héritage bressonien de Philippe Garrel : celui de l’effet avant la cause 487 , transposé sur le plan de la narration. Rien, en effet, ne laisse présager ces retrouvailles et la renaissance du couple au moment où elles arrivent. Tout au contraire, le dernier contact entre Matthieu et Jeanne, où cette dernière avait refusé plus dure que jamais l’entrée de son appartement au père de son enfant, semblait durablement installer le couple dans la rupture. De même, les plans immédiatement précédents montrant Matthieu seul et silencieux dans la pénombre de sa chambre d’hôtel paraissaient ne faire qu’insister sur la tristesse de l’état de solitude de ce personnage masculin. De ce fait, lorsque Jeanne, presque timide, franchit la porte de la chambre d’hôtel de Matthieu et que ce dernier entre dans le plan pour prendre le visage de Jeanne entre ses mains et l’embrasser fougueusement, le spectateur se retrouve devant le fait accompli de retrouvailles dont il ne peut que déduire qu’elles sont l’aboutissement d’une transformation majeure du rapport sentimental entre eux. En d’autres termes, la conséquence de la transformation du rapport a pour fonction d’incarner cette transformation même parce que c’est elle qui est mise en scène et figurée, ce qui lui confère un caractère concret qui en marque avec plus de force l’importance narrative.
« Que la cause suive l’effet et non l’accompagne ou le précède. » Cf. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, op. cit., p. 102. Pour illustrer ce principe, Robert Bresson rapporte cette anecdote : « L’autre jour, je traverse le jardin de Notre-Dame et croise un homme dont les yeux attrapent par-derrière moi quelque chose que je ne puis voir et tout à coup s’illuminent. En même temps que l’homme, si j’avais aperçu la jeune femme et le petit enfant vers lesquels il se mit à courir, ce visage heureux ne m’aurait pas autant frappé ; peut-être même n’y aurais-je pas fait attention. » De manière plus générale, sur l’importance de l’effet avant la cause dans le champ du cinéma, cf. Pascal Bonitzer, Le Champ aveugle, op. cit., pp. 68-73.