« […] je le connais fort bien ; il est poète et mathématicien. Comme poète et mathématicien, il a dû raisonner juste […]. »
Edgar Allan Poe.
J’entends plus la guitare est, de tous les films de la quatrième période, le film qui est le plus clairement architecturé en grands pans de récit simples à repérer 513 . Le film est en effet divisé en cinq parties : les quatre premières parties sont séparées et enchaînées par des fermetures au noir, la cinquième débute par une ouverture au noir qui, en donnant à voir pour la première fois le petit Ben en gros plan, fait aussi entrer le film dans l’ordre de la famille. Ces parties correspondent à autant de grands âges de la vie de Gérard : elles marquent les états majeurs d’une « éducation sentimentale » 514 qui le mène du temps de « l’héroïsme » à celui de « l’âge d’homme » 515 , état de maturité mais aussi de désillusion où Gérard se retrouve dans la position de ne plus pouvoir « changer quoi que ce soit au monde. » 516 En ce sens, on peut considérer que les cinq parties de J’entends plus la guitare forment autant d’époques 517 .
Sans doute, les autres films de la quatrième période sont-ils organisés en grandes sections. C’est notamment le cas du Vent de la nuit dont « le matin est italien et la nuit allemande » (le film devait un temps s’intituler ainsi), avec, au centre, comme une clé de voûte, la séquence de la tentative de suicide d’Hélène [séq. 27]. Mais, contrairement à J’entends plus la guitare, Philippe Garrel, fait un usage beaucoup plus « anarchique » des ponctuations filmiques dans ces autres films : par exemple, ouverture et fermeture au noir peuvent servir uniquement à cerner une seule scène. En ces cas-là, parce que leur fonction est d’abord d’encadrement, leur usage relève moins d’une logique narrative que figurale.
Philippe Garrel rapporte : « Pendant que je tournais, je lisais L’Éducation sentimentale. Pour m’endormir. J’entends plus la guitare raconte à sa manière l’éducation sentimentale d’une génération particulière. » Cf. Thierry Jousse, « Philippe Garrel : propos rompus » in Cahiers du cinéma n° 447, septembre 1991, p. 35.
Thierry Jousse considère que le projet de J’entends plus la guitare est un « projet voisin de celui de Michel Leiris en littérature, dans L’Âge d’homme, mais revisité par le cinéma. » Cf. Thierry Jousse, « Le Printemps en automne » in Cahiers du cinéma n° 447, septembre 1991, p. 15. Philippe Garrel dit quant à lui que J’entends plus la guitare repose sur un « procédé littéraire [qui] est de dire : on était des gens exceptionnels et on est devenus le commun des mortels ». Cf. Michel Butel, « On est devenus le commun des mortels », art. cit., p. 118.
Philippe Garrel rend compte en ces termes de la nature de la narration dans J’entends plus la guitare : « […] on accentuait toujours le fait qu’il [Gérard] soit un peu plus mal, jusqu’à ce qu’il sorte en claquant la porte, ne pouvant plus changer quoi que ce soit au monde. » Cf. Michel Butel, « On est devenus le commun des mortels », art. cit., p. 118.
Comme le dit d’ailleurs Marianne à Aline, en évoquant sa vie avec Gérard : « Je ne l’ai peut-être pas rendu très heureux, non… Mais c’était une autre époque… » [séq. 42].