Une lecture connotée

Le point important qui découle de l’impossibilité de trancher le statut de cette séquence, c’est la possibilité qu’elle ouvre de pouvoir l’envisager, avec autant de légitimité, selon deux niveaux de lecture : celui de la dénotation et celui de la connotation. En effet, l’une des caractéristiques du syntagme parallèle sur laquelle insiste le plus Christian Metz est la lecture en termes de connotations qu’il induit. Dans « Quelques points de sémiologie du cinéma », un article antérieur à « Problèmes de dénotation », Christian Metz soulignait déjà que dans le syntagme parallèle il y a « comme une défection du rapport temporel dénoté, au profit de valeurs de connotation riches et diverses, qui dépendent du contexte ainsi que de la substance du signifié. » 550 Dans le cas de la séquence de J’entends plus la guitare, aucune réelle « défection du rapport temporel » n’a lieu, puisque la voix de Lolla, quand elle se fait entendre sur le premier plan de Marianne et Gérard, assure la cohésion temporelle entre les deux mini-séries. Mais, étant donné que cette voix subit un traitement en discrétion, on peut considérer qu’une certaine fragilité affecte le rapport temporel – fragilité qui peut d’ailleurs laisser place à une pure et simple défection pour un spectateur qui n’aurait pas entendu la voix de Lolla – qui favorise une lecture connotée.

C’est cette lecture en termes de connotation que cette étude retient. À travers les différents traitements des voix dans ce croisement de séquences, se dessinent clairement des effets de contamination et d’échange de valeurs entre les deux mini-séries. Elles ne peuvent plus se lire dans un rapport de séparation, mais bien plutôt selon une logique de contagion réciproque. Les cris de Marianne viennent inscrire au cœur du calme et de la complicité apparente qu’affiche le couple Lolla/Martin une forme de brutalité qui vient mettre en crise la sérénité qui n’est peut-être que de façade. En revanche, la sérénité joyeuse qui émane du petit déjeuner parait en retour désamorcer les noirs soupçons de Marianne et incite à accorder aux arguments de défense de Gérard une certaine crédibilité. Une situation de vases communicants s’instaure donc entre les deux mini-séries et la contamination sonore produit un mélange des affects : un mixte d’angoisse liée à l’amour, qui est la part du sentiment que le couple Marianne/Gérard incarne, et de sérénité, elle aussi liée à l’amour, qui est la part qui revient au couple Lolla/Martin. De la sorte, l’opposition première entre les deux mini-séries tend à passer au second plan, au profit d’un sentiment qui leur serait commun : un sentiment que les deux couples et les quatre personnages auraient en partage. Ce sentiment, si proche d’un oxymore, on aura compris que c’est lui que Martin dénomme peu après : l’amour même ou « la peur de ne plus être aimé ».

La première époque de J’entends plus la guitare paraît ainsi mettre en place, à travers la systématisation des « entre deux personnes », une sorte d’arithmétique figurative de l’« entre deux personnes » à vocation poétique. En effet, d’un « entre deux personnes » à l’autre, on ne saurait dire encore qu’un véritable récit a commencé. Mais la poésie d’un sentiment complexe, elle, a pu naître.

Notes
550.

Ibid., p. 106.