Faire signifier les apparences (1) : approche étroitement figurale

Il y a au moins deux manières d’envisager ce don du cinéma pour faire signifier les apparences. La première relève d’une perspective étroitement figurale – étroitesse bien entendu voulue. Cette perspective se concentre sur les seules lectures d’images et de réseaux d’images que tissent les films, en tentant de négliger le contexte diégétique et narratif dans lequel s’inscrivent ces images. Il s’agit donc d’éviter de rabattre les images de film sur l’histoire dont elles sont le vecteur, pour considérer la possibilité d’une signification sécrétée par la seule « vie des formes » 572 corporelles. Faire ici référence au titre de l’ouvrage d’Henri Focillon, c’est suggérer sur un mode très implicite que nous intéresse plus dans cette perspective les « jeux d’échos » 573 ou les jeux de différences qui peuvent s’instaurer entre les différentes situations de co-présence plutôt que de se concentrer sur telle ou telle situation de co-présence unique. Dans une certaine mesure, en effet, les films de la quatrième période s’inscrivent en cinéma dans le cadre de ces « compositions où se nouent d’amples guirlandes humaines » qu’Henri Focillon évoque dans son livre 574 . Guirlandes humaines qui sont surtout des tressages de situations entre deux personnes – la première époque de J’entends plus la guitare, comme on l’a vu, représentant sans doute l’exemple le plus lisible d’une telle impression de mise en guirlande des figures humaines deux par deux. À travers ces guirlandes, ce sont aussi les échos analogiques ou différentiels qui se tissent entre les situations de co-présence, envisagées du point de vue des mises en rapport morphologique, qui prennent une valeur parce que s’y dessine en creux la position figurative de certains personnages. C’est alors dans les films de la quatrième période qui mettent en jeu les plus importantes « constellations de personnages » 575 qu’une telle position figurative s’impose avec le plus d’acuité. Du fait de leur nombre et de la répétition des différences ou des ressemblances dans les apparences, ces dernières n’en deviennent que plus signifiantes encore, parce qu’il est clair qu’elles ne doivent rien au hasard. C’est ainsi que Philippe, dans Le Cœur fantôme et Marianne, dans J’entends plus la guitare, voient, chacun à leur manière, leur position figurative clairement dessinée.

Notes
572.

Henri Focillon, Vie des formes (1943), Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1990, p. 10.

573.

L’expression est de Jacques Gerstenkorn. Cf. Jacques Gerstenkorn, La Métaphore au cinéma, op. cit., p. 49 : « […] on reconnaît sans trop de difficultés un jeu d’échos dans le flux filmique à la co-présence de deux termes de l’analogie. Les modalités de cette co-présence épousent la richesse des relations syntagmatiques au cinéma : il peut s’agir d’un pont entre deux mots, entre un propos et une image, entre un bruit et une image, entre deux bruits, entre la musique et l’image, entre un bruit et une musique… »

574.

Op. cit., p. 10.

575.

Marc Vernet cité dans : Francis Vanoye, Scénarios modèles, modèles de scénarios, Paris, Nathan, coll. « Cinéma », 1991, p. 58.