2. A-corps : attitudes mutuelles et gestus érotique

Dans une situation de co-présence, deux corps agissant se retrouvent en relation. Entre eux s’installe alors une situation d’interaction. Dans La Mise en scène de la vie quotidienne, Erving Goffman donne une définition de l’interaction qui peut servir ici de référence :

‘« Par interaction […], on entend à peu près l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres ; par une interaction, on entend l’ensemble de l’interaction qui se produit en une occasion quelconque quand les membres d’un ensemble donné se trouvent en présence continue les uns des autres […]. » 606

Si une telle définition de l’interaction peut trouver sa place dans le cadre de cette étude et servir de levier théorique pour l’analyse des interactions corporelles entre deux personnes dans les films de la quatrième période du cinéma de Philippe Garrel, c’est en raison de son caractère générique. Il est remarquable, en effet, que cette définition de l’interaction ne présuppose aucune détermination sociale des individus prenant part à l’interaction. Si on l’envisage telle qu’elle, sortie du contexte disciplinaire dans lequel elle a été forgée, elle ne semble pas devoir engager des analyses à caractère sociologique. Plus encore, pour définir l’interaction en ses principes, Erving Goffman ne fait pas référence à des individus (si l’on entend à travers cette notion faire briller avant tout les dimensions de la conscience et de la psychologie) : il ne présuppose que des corps en co-présence capables d’interagir les uns envers les autres. Le termes employés sont en eux-mêmes assez éloquents (« actions respectives, présence physique immédiate ») pour qu’il soit même utile de le démontrer : l’interaction, telle que la conçoit Goffman, s’engage essentiellement entre deux corps animés 607 et c’est bien la raison pour laquelle elle peut servir ici de socle à l’étude des interactions corporelles dans les films de la quatrième période.

Notes
606.

Erving Goffman, op. cit., p. 23. Souligné par l’auteur. Précisons que, pour Erving Goffman, cette définition de l’interaction s’applique d’abord aux interactions face-à-face. Mais Isaac Joseph suggère que cette définition de l’interaction n’est pas du tout spécifique aux situations de face-à-face. Ainsi, il précise l’interaction goffmanienne de cette manière : « Interaction : action réciproque qu’exercent les partenaires – individus ou équipes – d’un échange lorsqu’ils sont en présence les uns des autres. Les interactions peuvent être focalisées, par exemple dans les situations de face-à-face ou dans les conversations, ou non focalisées, par exemple, dans les situations de coprésence dans la rue ou dans un espace public. » Cf. Isaac Joseph, Erving Goffman et la microsociologie, op. cit., p. 124.

607.

« […] dans la réciprocité immédiate, ce sont des expériences qui sont en jeu et non des consciences. » Cf. Isaac Joseph, Le Passant considérable, op. cit., p. 47.