3. Désa-corps et a-corps : lignes dynamiques d’« écriture physique » et contradictions du gestus

« Le corps de l’homme et le corps de la femme peuvent rester à peu près constants, mais les chiffres susceptibles d’être écrits avec des corps d’hommes et de femmes sont d’une variété inépuisable, et cette variété travaille, agite, inspire les œuvres les mieux concertées et les plus sereines. »
Henri Focillon.

Il s’en faut évidemment de beaucoup dans les films de la quatrième période que les interactions corporelles fassent uniquement briller la dimension de l’a-corps et du lien. Les co-présences d’attitudes qui paraissent manifester des phénomènes de brisure dans l’interaction sont aussi très nombreuses. Ce qu’on pourrait nommer, usant du vocabulaire des microsociologues, des « malaises dans l’interaction » 652 et que, dans la logique terminologique de cette étude, on préférera nommer des désa-corps. Un désa-corps, c’est une interaction corporelle qui paraît orienter l’entre-deux (la coupure-lien) dont elle est porteuse plutôt du côté de la coupure que du lien. Une telle définition ne peut rester que minimale et assez abstraite parce qu’elle a pour tâche de rendre compte de phénomènes interactionnels très différents, dont nous ne pointerons ici que quelques exemples. Bien entendu, il ne s’agit pas de tomber dans l’absurdité qui consisterait à soutenir que, dès lors que l’interaction ne produit pas une impression d’a-corps, il y a nécessairement désa-corps. Seul le contexte dramatique dans lequel s’inscrit la situation d’interaction peut, au final, permettre de se prononcer sur ce qu’exprime l’interaction corporelle. Mais il est notable que, en bien des moments où les personnages vivent une situation entre deux personnes génératrice de tension ou d’incompréhension, l’interaction corporelle paraît se mettre au diapason du climat dramatique.

Les Baisers de secours, celui des cinq films qui exploite dramatiquement le plus longuement un conflit, parfois assez rude, entre deux personnages (Jeanne et Matthieu), propose les cas les plus éloquents et nous aurons à revenir sur plusieurs d’entre eux. Contentons-nous pour le moment de nous immerger dans la logique interactionnelle d’une situation unique de désa-corps. Cette situation, c’est celle où Matthieu se voit contraint, devant l’intransigeance de Jeanne, de quitter son foyer pour aller vivre à l’hôtel [séq. 20].

Notes
652.

Isaac Joseph, dans Le Passant considérable, étudie particulièrement les « malaises dans l’interaction » (pas seulement corporelle, bien entendu). On pourra se reporter en particulier à l’analyse qu’il propose d’une nouvelle de Milan Kundera, Le Jeu de l’Auto-Stop, qui aboutit selon lui à un véritable « échec dans l’interaction ». Cf. op. cit., pp. 50-52.