1. Le lieu d’un regard sur un regard

« Deux personnes qui se regardent dans les yeux ne voient pas leurs yeux mais leurs regards. (Raison pour laquelle on se trompe sur la couleur des yeux ?). »
Robert Bresson.

Deux raisons rendent marquante, et peut-être spécifique, la question du visage dans les films de la quatrième période. Deux raisons qui peuvent, au départ, paraître assez éloignées l’une de l’autre, mais dont on verra qu’elles peuvent se trouver liées. C’est pourquoi il convient d’insister sur la première de ces raisons, alors qu’elle peut donner au départ le sentiment d’être un peu annexe par rapport à l’objet de cette étude. Cette première raison tient à la durée, à l’évolution des figures humaines et à leur inscription dans un devenir. Contrairement à ce qui a lieu dans Les Hautes solitudes, c’est bien le temps conçu comme Chronos qui joue ici un rôle. En effet, en parallèle au continuum narratif proprement dit, se développent parfois de véritables scénarii du visage qu’on peut décider de nommer « scénarii-visages » et qui traduisent sur un mode figural les changements intérieurs des personnages ou portent témoignage de leur destinée filmique. Scénarii affectifs entés sur la capacité du visage à être tout le contraire d’un masque 685  : une surface de dévoilement inscrivant ses changements dans le temps. En ce sens, les visages chez Philippe Garrel trouveraient leur antipode dans le visage de Garbo 686 .

Notes
685.

Roland Barthes rappelle, dans « Le Visage de Garbo », que le masque implique ou le thème du secret (lorsqu’il est demi-masque comme ceux de la Commedia dell’arte) ou celui de l’archétype (lorsqu’il est masque total comme les masques antiques), c’est-à-dire ou l’idée d’une dissimulation sous l’apparence ou l’idée d’un non-changement. Ainsi, ou le masque sert à voiler, ou ce qu’il dévoile (l’archétype) est une catégorie atemporelle, qui vaut justement à être immuable et ne jamais changer. Cf. Roland Barthes, Mythologies (1957), Paris, Seuil, coll. « Points essais », 1970, p. 70.

686.

On sait que pour Roland Barthes, le visage « plâtré » de Greta Garbo (dont le meilleur exemple se trouve dans La Reine Christine (USA, 1933) de Rouben Mamoulian) donne à voir plus encore qu’un archétype, une Idée platonicienne, une Essence. Cf. op. cit., pp. 70-71.