3. Le double portrait : identité partagée, donner visage(s) à l’intime

Si l’on se dégage d’une conception purement formaliste du portrait, il n’est pas inutile de rappeler que le genre du portrait est le site par excellence d’un questionnement sur l’identité, l’individualité et la singularité. Il suffit de repartir de la définition, d’une grande précision, qu’Anne Souriau donne du concept de portrait dans le Vocabulaire d’esthétique d’Étienne Souriau pour le comprendre :

‘« Au sens général, représentation d’une personne. […] Dans les arts plastiques, […] bien qu’uniquement visuel, le portrait peut rendre très sensible la personnalité intérieure du modèle, par de nombreux indices tels que la pose, l’expression de physionomie, etc. […] Le fait que le modèle soit une personne réelle ou quelqu’un de fictif n’a aucune importance pour les procédés employés par l’art pour la faire connaître ; mais il en a pour le travail demandé à l’artiste. Le portrait d’une personne réelle demande à l’artiste d’être observateur et même psychologue pour pénétrer la personnalité du modèle. Le portrait d’une personne fictive lui demande une imagination très précise et complète ; et bien souvent les portraits fictifs prennent appui sur l’observation de modèles réels. Le genre du portrait, dans quelque art que ce soit, témoigne d’un intérêt pour l’individuel ; ce n’est pas seulement l’être humain en général, ou tel type de toute une espèce que rend le portraitiste ; c’est telle personne en tant qu’elle est elle-même […]. » 771

À suivre cette définition d’Anne Souriau, le portrait vise donc l’individualité du modèle représenté, c’est-à-dire à transmettre quelque chose de son identité et de sa singularité. Ce n’est pas l’inscription du sujet dans un type, voire un archétype, que recherche en premier chef le portrait (même si cette dimension peut exister et peut même être particulièrement importante). Il cherche au contraire à saisir ce qui fait son unicité. Ce n’est pas une ouverture vers l’universel qui détermine le geste portraitique. C’est au contraire la passion du particulier.

Notes
771.

Anne Souriau, « Portrait » in Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, op. cit., pp. 1161-1162.