2. Malaises dans la coopération

Dégager, comme nous l’avons fait, l’idée que la parole est un agent fondamental du lien dans les films de la quatrième période ne suffit certainement pas à rendre compte de l’essentiel de ce qui se joue sur ce terrain au cours de situation entre deux personnes. Plus exactement, repérer l’importance de la dimension conjonctive de la parole, des principes de réciprocité et de coopération propres à la forme dialogique ne constitue que la première marche d’un trajet qui doit conduire, à l’inverse, à mettre en avant les petits « attentats » dramatiques que ne cesse de subir l’idéal de la forme dialoguée dans ces films.

Car tel est bien le paradoxe : alors que la parole peut souvent valoir pour sa dimension de lien, alors que la forme dialogique a fait son apparition dans les films de la quatrième période, ce sont pourtant de véritables effets de cassures dans le dialogue, parfois assez subtils, auxquels le spectateur ne cesse d’être confronté. Le dialogue, non seulement par ce qui se dit mais surtout par la manière dont il est engagé et la tournure prise par la situation d’interlocution, se voit alors infecté de coupures. Tout se passe donc comme si Philippe Garrel avait cherché à faire de la parole un agent fondamental du lien, pour faire résonner avec plus de force la difficulté à communiquer ou à se comprendre dans lesquels peuvent souvent se retrouver deux personnages en co-présence dès lors que ce lien est attaqué.

La question n’est pas seulement, et surtout pas prioritairement, de dire ici que les personnages de Philippe Garrel peuvent faire preuve de désaccord les uns envers les autres ou éprouver de la tension – ce que les contenus des dialogues ne cessent de manifester. La question est de dire que la tournure structurelle de l’échange de paroles comme la physionomie de l’interlocution peuvent venir rompre la dynamique coopérative nécessaire au dialogue, alors même que la situation aurait tout dans l’absolu pour être dialogique. De la sorte, alors que la parole et le dialogue semblent prédestinés à créer du lien, la nature particulière d’une interlocution, elle, peut venir s’opposer à ce lien.