2. Stratégies pour l’« espace entre »

« La situation, dans sa texture visible, se contente de contrastes, le cadrage importe moins que “la distance entre les personnages”. »
Isaac Joseph, à partir d’une citation de L’État des choses de Wim Wenders 911 .

La pellicule dans les films de la quatrième période n’atteint jamais un degré de granulation tel qu’il peut se rencontrer dans Rue Fontaine. Que le chef-opérateur du film soit Jacques Loiseleux, Raoul Coutard ou Caroline Champetier, les films de la quatrième période font tous preuve d’images nettement plus piquées. Mais il arrive, en revanche, que des effets de sur- ou de sous-exposition soient particulièrement marqués. C’est plus particulièrement le cas dans les deux films en noir et blanc de la période : Les Baisers de secours et La Naissance de l’amour. Mais ces effets lumineux ne jouent guère de rôle pour accroître la présence filmique de l’« espace entre ». Si la sous-exposition joue un rôle quant à cet « espace entre », c’est au contraire pour l’effacer de l’image. Dans La Naissance de l’amour, le plan le plus sous-exposé laisse bien apercevoir quelque chose des deux visages en co-présence (il s’agit du plan-séquence dans lequel Paul commence à raconter à la Jeune Femme qu’il y a très longtemps il aimait une femme [séq. 59]). La pénombre qui règne dans le plan rend pratiquement tout indistinct et surtout l’« espace entre » que le spectateur ne sait plus guère où situer. Il est plus remarquable encore que les effets de surexposition les plus prégnants ne servent jamais à donner une présence aiguë à l’« espace entre ». D’abord parce que les plans les plus surexposés ne donnent à voir le plus souvent qu’une seule figure : c’est le cas du plan lactescent de La Naissance de l’amour dans lequel apparaît la sage-femme qui demande à Fanchon, hors-champ de se préparer [séq. 12]. Ensuite parce que les plans dans lesquels co-présence de deux corps et surexpositions cohabitent ne jouent pas de la surbrillance et de la défiguration pour nourrir le corps de l’« espace entre ».

C’est le cas de la séquence des Baisers de secours dans laquelle prennent langue Jeanne et Minouchette et que nous avons déjà abondamment analysée [séq. 3]. De la fenêtre de la pièce dans laquelle se trouvent les deux femmes parvient aux yeux du spectateur un voile floconneux de lumière blanche qui va jusqu’à déborder sur les arrêtes supérieures du cadre et les ronger en petites flammes fugitives. C’est dire la capacité de défiguration d’une telle lumière. Mais jamais les deux femmes ne sont montrées dans le même plan devant cette fenêtre. Elles ne s’y rendent qu’à tour de rôle, fermant ou ouvrant les deux battants au cours d’une petite dramaturgie interactionnelle qui frise l’hystérie. Ainsi, l’« espace entre » est loin de devenir ici corps de lumière, comme ce pouvait être le cas entre Génie et René dans Rue Fontaine. La lumière n’est pas entre les deux femmes : elle est plutôt ici un brouillard léger qui les entoure ou les enveloppe de sa blancheur quand elles sont à la fenêtre. L’« espace entre » reste quant à lui un espace plus diffus et plus indéfini que celui qui forme un pan dans Rue Fontaine.

Notes
911.

Wim Wenders (RFA, 1981-1982).