Le Cœur fantôme

Philippe : Bonsoir… Je voulais simplement vous dire que vous êtes très belle !

Prostituée. : Merci.

Philippe : Vraiment !

Philippe : Salut. Ça va ?

Annie : Bof… T’as faim ?

Philippe : Ouais. Y sont où les enfants ?

Annie : Dans la salle de bains…

Annie : Ah, Ah, dis, tu… tu… veux bien venir samedi avec moi acheter un manteau pour la petite ?

Philippe : Ah ? Et celui que… qu’on avait acheté la dernière fois ?

Annie : Il est dix fois trop petit !

Moand (voix-over) : « Voilà, ça fait 1095 jours que je suis entre ces murs. Et 730 jours qu’on s’est vu pour la première fois. Depuis, grâce à toi, je redeviens un être humain. Tu as déclenché en moi l’amour de vivre, de lire, de t’écrire et de vouloir t’aimer. Je pense à toi. J’aime mieux quand tu arrives en retard, que tu portes le chemisier noir et que tu es toute décoiffée. J’imagine la forme de tes seins, de tes jambes et de tes fesses. Ce qui me manque le plus, c’est ton odeur. À la première et à la 59ème minutes de tes visites, il n’y a que nos mains qui se touchent. J’aimerais tellement connaître le reste de ton corps. Je t’embrasse partout, même si c’est seulement sur le papier. Moand. »

Gardien : Boudjoune… ouvert ! Areski…

Mère : Pour une femme, c’est important !

Philippe : Oui, mais quoi justement ?

Mère : C’est comme si avant elle avait pas eu de raison de vivre…

Philippe : Tu veux dire que, tout d’un coup, ta raison de vivre est à l’extérieur de toi ?

Mère : On peut le dire de toutes les façons qu’on veut.

Philippe : Tu… tu crois pas que pour un homme c’est pareil ?

Mère : Qu’est-ce que tu crois toi ?

Philippe : Pour moi, c’est pareil, c’est ce qu’il y a de plus important pour moi mes enfants.

Mère : Que tout ?

Philippe : Oui !

Mère : Même ta peinture ?

Philippe : Bah… Ma peinture, c’est pour les faire vivre maintenant.

Mère : Tu penses vraiment ce que tu dis ?

Philippe : Oui… Pourquoi tu me demandes ça ? À quoi tu penses ? À Papa ?

Mère : Non, non… Je me disais que si tu penses vraiment ça…

Philippe : Je ferais pas comme Papa ?

Mère : Non. Mais les choses seront plus faciles entre Annie et toi…

Philippe : Oh… Ça revient au même, non ?

Mère : Mais non ! Arrête de croire que je pense tout le temps à ton père. Ça fait plus de trente ans qu’entre lui et moi, c’est fini.

Philippe : Ah, ben… Ça empêche rien…

Mère : Bien sûr que si… Les choses sont plus simples que tu crois.

Philippe : Oh, moi aussi je pense que les choses sont simples à partir du moment où les enfants passent avant tout.

Mère : C’est bien que tu penses comme ça… Mais tu sais les enfants c’est pas une solution à tout. Regarde ton père et moi, on en a eu trois.

Philippe : Pourquoi vous vous êtes quittés ?

Mère : Je pourrais te répondre quelque chose, ton père pourrait te répondre autre chose, et personne n’en saurait davantage.

Philippe : Non, mais… pour toi.

Mère : Tu sais bien que dans la vie y’a pas de réponse…Y’a des solutions, des décisions, mais les réponses c’est bon pour les livres.

Philippe : Bon alors, disons que j’écris une histoire sur papa et toi, et que j’ai besoin de ta réponse !

Mère : Et ben, tu peux écrire qu’on a cru qu’on était fait l’un pour l’autre et qu’on s’est aperçu qu’on s’était trompé.

Sans dialogue.

Annie : Tu veux quelque chose ?

Philippe : Non, merci.

Annie : Si on a aimé quelqu’un vraiment très fort, est-ce qu’on peut ne plus l’aimer ?

Philippe : C’est une question ?

Annie : Oui, question…

Philippe : Bien sûr, heu… on peut, heu…

Annie : Comme si on l’avait jamais aimé ? On comprend même pas comment on a pu ? Je ne crois pas…

Philippe : Ch’ais pas, ch’uis fatigué.

Annie : Qu’est-ce que tu penses ?

Philippe : Je pense rien… Je sens rien…

Annie : Arrête !

Philippe : Je t’aimais, j’étais heureux avec toi, avec les enfants…

Annie : Arrête, c’est sinistre !

Philippe : Ben ouais.

Annie : J’voulais juste te dire que pour moi, c’est pas comme si je t’avais jamais aimé… Ce sera jamais comme ça.

Philippe : Mais, c’est fini ?

Annie : Oui, c’est fini.

Sans dialogue.

Prostituée : De quoi parlez-vous ?

Philippe : De la fin des cours, du fait qu’il fallait que je soutienne ma petite maîtresse.

Prostituée : Voulez-vous que nous nous voyons dans une petite chambre ?

Philippe : Ah… Vous êtes en classe terminale ?

Prostituée : Non…

Philippe : Ah…

Prostituée : J’ai encore ma treizième à faire…

Philippe : Ah, très, très, bien… Faudra que je parle de vous pour la fin de vos études alors ?

Prostituée : C’est là… D’habitude à 4 heures il n’y a personne. Nous aurons jusqu’à 5 heures… ça ne vous gêne pas ?

Philippe : Pas du tout !

Prostituée : Vous allez voir, c’est un peu petit, mais tout à fait à l’écart et tranquille… La chambre est petite mais nous serons bien… fermez… fermez… (fermez [sur le visage de Philippe]).

Sans dialogue.

Philippe : Bonsoir… Ça va ?

Prostituée : Oui… On y va ?

Philippe (aux prostituées) : Elle est pas là, votre copine ?

Philippe : Pourquoi vous m’avez souri ?

Justine : Ch’ais pas… comme ça, parce que je crois que je vous connais.

Philippe : Ah… j’m’appelle Philippe Klein…

Justine : J’ai été à un vernissage de vous.

Philippe : Ah, oui ?!

Justine : Ouais, j’ai, heu… j’ai acheté des cartes postales de vos tableaux, et … et je les ai accrochées au dessus de mon lit.

Philippe : Ah !

Justine : Vous voulez pas qu’on fasse un bout de chemin ensemble ?

Philippe : Heu…

Justine : Enfin je veux dire, vous voulez pas qu’on fasse un petit bout de chemin ensemble ?

Philippe : Ah oui, oui… oh, ben oui.

Annie : Tu peux partir dans trois jours ?

Philippe : Vendredi ?

Annie : Oui !

Philippe : D’accord.

Annie : Bon…

Écrit sur une nappe : « Toutes les lettres d’amour sont ridicules sinon elles ne seraient pas des lettres d’amour. » 991

Annie : Ça va ?

Moand : Ça va ! Bizarre…

Annie : T’es pas mal à l’aise ?

Moand : Non.

Annie : T’es pas déçu ?

Moand : Non.

Annie : Tu penses pas que c’était mieux avant ?

Moand : Non.

Annie : Quand on se connaissait pas physiquement ?

Moand : Tu le penses toi ?

Annie : Non.

Moand : On peut pas s’aimer par le papier ou à travers une vitre !

Annie : Tu m’as pas aimée… tu m’as pas voulue juste seulement parce que j’étais là ? Parce que c’était moi qu’étais là ?

Moand : Ben, tu sais bien que non ! Tu le sais ?

Annie : Pff… Ch’ais pas…

Moand : Tu peux être sûre que si ç’avait pas été toi, ç’aurait été personne d’autre. C’était toi ou personne, tu comprends ?

Père : Ils ne sont pas malheureux ! Ils savent bien que tu les aimes. Les enfants sont capables de sentir ça, crois-moi !

Philippe : Ouais, mais ch’uis parti…

Père : Ce n’est pas ta faute si tu es parti.

Philippe : C’est pas ma faute, mais ch’uis parti.

Père : Qu’est-ce que tu pouvais faire d’autre ? Tu aurais préféré que ce soit Annie qui parte ? Tu sais bien que ce n’est pas possible ! La mère, c’est toujours ce qui compte le plus.

Père : Au revoir.

Philippe : Salut.

Philippe : Oui ?

Annie : C’est moi… Faut que je te parle…

Philippe : Heu, attends… je…

Annie : Faut que je te parle des enfants… maintenant !

Philippe : Ben, attends, j’m’habille, j’arrive… Attends-moi au café sur la place, j’arrive.

Annie : Dépêche-toi, dépêche-toi !

Philippe : O.K., O.K., j’arrive.

Justine : Qu’est-ce qu’on fait ?

Philippe : On s’habille et on file, O.K. ?

Justine : C’était elle ?

Justine : Pourquoi tu lui as donné l’adresse ? Tu m’avais dit que tu donnerais jamais le numéro de téléphone et l’endroit où on était ! Quand tu lui as donné l’adresse ?

Philippe : Ben, l’autre jour, quand elle a appelé chez mon père parce que Lucie était malade.

Justine : Maintenant…

Philippe : J’ai toujours peur qu’il y ait un accident.

Justine : Maintenant, elle va nous embêter tout le temps !

Philippe : Mon amour…

Justine : Oui ?

Sans dialogue.

Philippe : Bonjour, je suis le papa de Camille et de Lucie.

Baby-sitter : Camille est à l’école et je garde Lucie.

Philippe : Je peux lui parler ?

Baby-sitter : Oui.

Philippe : Merci.

Lucie : Allô, Papa chéri ?

Philippe : Allô, bonjour. Tu vas bien ? Je… je t’aime ma petite chérie. Je vais venir te voir bientôt… Allô ? Allô ? Allô, oui ? Tu m’… Tu m’… Tu m’entends ? Allô ? Tu me repasses la dame… Allô ? Lucie ? Allô ? Allô ?

Lucie : Pourquoi tu dis comme ça ?

Philippe : Quoi ? Repasse-moi la dame… Lucie…

Baby-sitter : Allô ? Madame est au travail… elle rentrera à 7 heures.

Philippe : Bon, ben… je rappellerai, merci beaucoup.

Baby-sitter : Au revoir, monsieur.

Philippe : Au revoir, au revoir. Merci.

Baby-sitter : Au revoir.

Philippe : Mais, est-ce que tu m’aimes ? Mona… Mona…

Justine : T’es réveillé… Tu parlais cette nuit en dormant… Tu disais : « Mais est-ce que tu m’aimes ? »

Sans dialogue.

Philippe : Arrête.

Justine : Tu la préférais…

Philippe : Mais non, ça n’a rien à voir. C’est comme toi, ton premier amour.

Justine : Mon premier amour ?

Philippe : Oui, tu le sais bien. On croit qu’on ne pourra plus jamais aimer, mais… ça veut rien dire, et non.

Justine : Ouais, mais dans ton rêve, c’était Mona. Alors si tu rêves d’elle tout le temps, c’est que tu la préférais.

Philippe : Ah ! Oh, ben, c’est le fusible, c’est rien, ça… Tu en as des fusibles ?

Justine : Non.

Philippe : Alors, attends, tu vas voir, c’est magique, ça… et voilà !

Justine : Non, mais dis moi, elle avait des poils de quelle couleur ?

Philippe : Ch’ais pas, j’en sais rien… Plus clairs…

Justine : Et en dessous, pareil ? Hein ? En dessous pareil ?… Elle te manque ? Excuse-moi de te demander ça…

Camille : Je sais.

Philippe : Vraiment ?

Camille : Vraiment, Papa… Au revoir, Papa…

Philippe : Au revoir, Camille.

Annie : Je sais pas comment on va faire… on est plus et on n’a plus d’argent.

Moand : Qu’est-ce que tu veux dire, on est plus… Tu veux dire moi ? Parce que tu crois peut-être que je vais me laisser entretenir ? C’est moi qui vais vous entretenir.

Moand : J’ai de la marchandise que j’ai mis de côté y’a trois ans. Faut que je trouve un client… un gros client… y’en a pour un paquet.

Annie : Tu m’avais dit que t’avais rien fait ?

Moand : Et ben oui j’ai rien fait. J’fais des affaires, comme tout le monde… j’essaie de gagner de l’argent, c’est tout.

Annie : Tu seras prudent ?

Sans dialogue.

  • Séquence 29. Ext. Jour. → Ext. Rue. Escalier, rue.

Voisin : Ça va ?

Philippe : Ça va, oui.

Voisin : C’est bon… Mais, dis-moi, ça va ?

Philippe : Ouais, ouais.

Voisin : C’est vrai ?

Philippe : Attention.

Voisin : C’est bien là…

  • Séquence 30. Ext. Jour. Voiture du voisin de Philippe.

Voisin : Ça va ?… Ça va ? Vous vous voyez, hein ?… Avec Annie vous vous voyez ?

Philippe : Non !

Voisin : Vous vous parlez ?

Philippe : Non !

Voisin : Enfin, pourquoi ? Vous êtes fâchés ?

Philippe : Non, mais c’est pareil, c’est tout… mais je vois les enfants.

Voisin : Et, ça va ?

Philippe : Je peux pas dire que je sois heureux, mais elle m’a pas laissé le choix… enfin si, mais j’ai choisi. Je peux pas vivre si je suis pas libre.

Voisin : Mais libre de quoi ?

Philippe : Libre de quoi ? Ben, voilà une question qui réduit déjà ta liberté, non ? Si !

Voisin : Y’a de la circulation.

  • Séquence 31. Ext. Jour. → Int. Jour. Rue, palier d’un appartement.

Philippe : Monsieur Laffont est là ?

Femme de ménage : Non, non… mais il m’a prévenue que vous veniez, entrez.

Philippe : Il vous a laissé quelque chose pour moi ?

Femme de ménage : Ah, non, non, rien. Il m’a juste dit que vous pouviez mettre le tableau dans le salon.

Philippe : Bon, ben, voilà… comme ça c’est réglé.

  • Séquence 32. Ext. Jour. → Int. Nuit. Quai d’une gare, compartiment couchette.

Sans dialogue.

  • Séquence 33. Int. Jour. Compartiment d’un train.

Justine : Tu vas me quitter.

Philippe : Mais non.

Justine : Mais si.

Philippe : Fais pas ta maligne…

Justine : J’fais pas ma maligne… T’as des enfants et j’aime pas tes enfants.

Philippe : Mais tu les as jamais vus… et tu les verras jamais si tu veux.

Justine : Et toi ?

Philippe : Quoi ?

Justine : Toi, ça t’empêchera pas des le voir.

Philippe : Oh, ben, non !

Justine : Ben, voilà !

Philippe : Voilà, quoi ?

Justine : Rien…

Philippe : Tu voudrais que j’abandonne mes gosses ?

Justine : Ça va pas non !

Philippe : Ben alors ?

Justine : J’aime pas que t’aies des enfants, c’est tout.

Philippe : Alors tu m’aimes pas !

Justine : Ben, c’est peut-être ça ouais !

Philippe : T’es folle.

  • Séquence 34. Ext. Nuit (tombante). Une plage en Italie.

Philippe : Non, on peut pas discuter comme ça… Tu veux pas qu’on en reparle tranquillement, demain ?… et qu’on en profite là, qu’on fasse autre chose. Tu veux que je ramasse des algues ? Justine… Justine… Justine !

  • Séquence 35. Int. Nuit. Chambre d’hôtel.

Justine : Excuse-moi, ch’uis conne, ch’uis nulle… J’peux pas faire autrement que d’être jalouse, c’est tout.

  • Séquence 36. Ext. Jour. Rue en Italie.

Justine : J’aime pas ici, c’est triste.

Philippe : On va aller à Naples.

Justine : Et à Venise ?

Philippe : Tu veux aller à Venise ?

Justine : J’sais pas…

Philippe : On y va… Comme tu veux…

  • Séquence 37. Ext. Jour. Quai d’une petite gare.

Justine : À quelle heure y part le train ?

Philippe : 4 heures.

Justine : Et à quelle heure il arrive ?

Philippe : 10 heures !

  • Séquence 38. Int. Jour. Compartiment de train.

Sans dialogue.

  • Séquence 40. Int. Nuit. Chambre d’hôtel.

Philippe : Où est ma fille ? Lucie ? Lucie ?

  • Séquence 41. Ext. Jour. Place à Venise.

Justine : Comme je suis là, c’est pour toi.

Philippe : Ah, oui ?

Justine : Ouais ! Oh la la !

Philippe : Je t’aime

Justine : Bon, qu’est-ce que tu me fais ?

Philippe : Ce que tu veux.

Justine : Non, mais dis-moi ce que tu me fais. Tu sais bien ce que tu me fais, j’ai envie que tu me le dises…

Philippe : Je te baise par le derrière.

Justine : Ouais…

  • Séquence 42. Int. Jour. → Ext. Jour. Une bijouterie, une rue.

Philippe : Attends, fais voir… Pourquoi tu rigoles, c’est sérieux, hein.

Justine : Je sais.

Philippe : Ben, alors ?

Justine : C’est pour ça que je ris.

Philippe : Ça va pas, non ?

Justine : Ch’uis sale, hein ?

  • Séquence 43. Ext. Jour. Rue à Venise.

Sans dialogue.

  • Séquence 44. Ext. Jour. Rue à Venise.

Justine : J’ai faim, on achète des trucs ?

Philippe : Tu veux pas aller au restaurant ?

Justine : Non, les restaurants ça me dégoûte !

Philippe : Bah…

  • Séquence 45. Ext. Jour. Rue à Venise.

Justine : Je me souviens très bien, même hyper précisément, que je regardais mon bras droit à la fenêtre de la voiture et que je pensais : « seulement le droit est en train de bronzer et pas le gauche. » Et puis, je sais pas, c’est venu comme ça, j’ai su que j’allais faire quelque chose d’exceptionnel, d’incroyable, d’extraordinaire, et à partir de là, j’ai arrêté de manger pendant des mois… Je faisais de moi ce que je voulais, j’étais devenue transparente, j’étais un génie, c’est vrai, un vrai génie… Maintenant qu’on m’a stabilisée, je sais pas… je suis moins seule, mais je suis moins forte.

  • Séquence 46. Ext. Nuit. → Int. Nuit. Rue, chambre d’hôtel.

Justine : Toi, t’es triste.

Philippe : Là, maintenant ?

Justine : Non, en général, t’es triste.

Philippe : Mais de quoi (riant) ?

Philippe : De tout (riant) ? C’est pas vrai, ch’uis pas triste ! Qu’est-ce que j’ai de triste ?

Justine : Ben, tu vois, par exemple, vachement souvent, je me demande à quoi tu penses… et j’ai envie de te le demander, puis je te le demande pas. Parce que j’ai peur, j’ai peur de ton passé, de toute cette nostalgie que t’as. Ton passé, ça m’écrase, je te jure, ça m’empêche de respirer, ça me rend triste.

Philippe : Mais, qu’est-ce que tu racontes, hein ?

Justine : C’est comme si j’étais le dernier chiffre d’une immense addition, tout en bas, minuscule…

Philippe : C’est pas comme ça, tu sais bien, je suis plus vieux que toi, c’est tout !

Justine : Mais moi j’en sais rien si tu es plus vieux que moi. La différence entre toi et moi, c’est pas ça. C’est que moi je suis avec toi… Pas celui que tu étais avant toi et ce que tu représentes pour moi… vraiment toi !

Philippe : Moi aussi, je suis avec toi. Tu es ma vie Justine, tu m’as sauvé !

  • Séquence 47. Ext. Jour. Bateau accostant dans le port de Capri.

Sans dialogue.

  • Séquence 48. Int. Jour. → Ext. Jour. → Ext. Jour. Salle de bain d’une chambre d’hôtel, rue, balcon de la chambre d’hôtel.

Justine : Ch’uis jalouse !

Philippe : Ah ! De qui ?

Justine : De ta fille.

Philippe : Mais pourquoi ?

Justine : Tu lui as envoyé une carte et tu lui as écrit que tu l’aimais.

Philippe : Mais, ça n’a rien à voir. Le mot amour n’a pas toujours le même sens… Ça ne veut pas dire la même chose l’amour des enfants et l’amour pour une femme, hein… non…

Philippe : Et ben, voilà.

  • Séquence 49. Int. Jour. Chambre d’hôtel.

Justine : Qu’est-ce que tu fais ?

Justine : Tu penses que je suis un monstre ?

Philippe : Non !

Justine : À quoi tu penses ?

Philippe : À rien.

Justine : Tu peux pas venir près de moi ?

Philippe : Si.

Justine : Pardonne-moi, j’ai peur que tu me largues, alors je suis méchante… je suis angoissée, puis je me sens seule.

  • Séquence 50. Int. Jour. → Ext. Jour. Café, rue.

Justine : Tu trouves qu’on a une bonne vie ?

Philippe : Ben, ch’ais pas…

Philippe : Tu veux quelque chose ?

Justine : Non.

Philippe : Assieds-toi…

Justine : Non.

Philippe : Bon, comme tu veux… Ça va marcher les photos ?

Justine : Non, mais j’ai rencontré une fille qui va peut-être me trouver un truc en province…

Philippe : Mais, c’est bien ça.

Justine : Bon, on rentre ?

Philippe : Si tu veux.

Justine : Qu’est-ce que tu as fait tout ce temps où tu m’attendais ?

Philippe : Rien, j’ai rien fait. Je pensais à toi.

Philippe : Ça t’embête pas que je sois toujours avec toi ?

Justine : Non, ça m’embête pas, au contraire !

  • Séquence 51. Int. Jour. Appartement de Justine et Philippe (?).

Justine : Toi t’en prenais de l’héroïne ?

Philippe : J’en ai pris pendant trois ans.

Philippe : L’enfer…

Justine : Pourquoi tu faisais ça ?

Philippe : Et ben… parce que Mona elle faisait ça.

Justine : Et vous couchiez ensemble ?

Philippe : Quand on avait pris de l’héroïne ?

Justine : Ouais.

Philippe : Oh, pas trop, non… Tu sais, c’est difficile de… quand tu es avec quelqu’un de pas l’imiter, hein.

  • Séquence 52. Int. Jour. Appartement de Justine et Philippe.

Justine : Allô ? C’est Annie.

Philippe : Allô…

Annie : Faut que tu viennes tout de suite… Il est devenu fou, y m’a battue… viens vite !

Philippe : Où est-ce qu’il est ?

Annie : Il essaie d’enfoncer la porte là, t’entends ?

Philippe : Et les enfants y sont où ?

Annie : Ils sont là, ils sont avec moi.

Annie : Ah non ! Viens toi… Viens vite !

Philippe : Bon, O.K… J’arrive, hein…

  • Séquence 53. Ext. Nuit. Rue.

Sans dialogue.

  • Séquence 54. Int. Nuit. Appartement d’Annie.

Camille : Il est parti !

Annie : Tu l’as croisé ?

Philippe : Heu, non je crois pas… Ch’ais pas, je l’ai jamais vu, heu…

Annie : Il est parti… Bon, les enfants on va se coucher maintenant.

Lucie : Au revoir Papa.

Philippe : Je viens avec vous.

Philippe (à Lucie) : Tu dors ?

Philippe : Ça va… ou tu veux que je reste un peu ?

Annie : Ça va ! Tu crois que j’ai peur ou quoi ?

Philippe : Ah, ben, ch’ais pas… Y t’a battue…

Annie : Il est comme ça, c’est un homme, on n’y peut rien.

Philippe : Ah, parce qu’il te tape dessus ?

Annie : C’est ça, ouais, si tu veux…

Philippe : Et tu l’aimes encore quand il te tape dessus ?

Annie : Ouais…

Philippe : Tu l’aimes pour ça ?

Annie : Parce qu’il a pas peur… de rien, même des flics.

Philippe : Ah, d’accord… Tu crois que j’ai peur moi ?

Annie : Je sais pas…

Philippe : Réponds-moi. Tu crois que j’ai peur de toi ?

Annie : Oui !

Philippe : Et ben voilà !

Annie : Bonne nuit… merci d’être venu.

Philippe : Bonne nuit.

  • Séquence 55. Int. Nuit. Café.

Ami : Ça me fait plaisir de te voir.

Philippe : Moi aussi, qu’est-ce que tu crois ?

Ami : Mais pourquoi on se voit jamais ?

Philippe : Ben, ch’ais pas, c’est comme ça.

Ami : Oh, t’es incroyable, hein… T’es le type le plus inconscient que je connaisse… tu veux jamais savoir pourquoi tu fais les choses, pourquoi tu les fais pas.

Philippe : Ah…

Ami : Ah, moi, tu me fascines… ton inconscience me fascine.

Philippe : Faut que je te dise… j’ai fait une rencontre

Ami : Oh, tu dis ça pour changer de sujet, moi heu…

Philippe : Non, non…

Ami : …je veux parler de toi.

Philippe : Ben, justement, j’ai rencontré un femme.

Ami : Et Annie ? Tu n’es plus avec elle ?

Philippe : Non !

Ami : Et les enfants ?… Vous vous êtes rencontrés comment ?

Philippe : Bah, dans la rue… j’attendais, heu, une pute.

Ami : Une pute ?

Philippe : Oui. Et…

Ami : Mais, c’est incroyable… Tu te souviens qu’on se disait…

Philippe : Hm, hm…

Ami : …qu’on ne devait jamais aller avec une prostituée ?

Philippe : Mais tu vois, comme Annie avait un amant, et que je voulais quand même rester avec les gosses…

Ami : Oui…

Philippe : …j’ai pensé que ce serait peut-être une solution de voir cette fille régulièrement.

Ami : Oui, mais c’était une prostituée…

Philippe : Ouais, mais elle était très belle.

Ami : Et Annie, c’est elle qui a commencé à être infidèle ?

Philippe : Ouais… Mais je m’accrochais, hein, pour les petits… et au bout du tunnel, y’avait Justine.

Ami : Justine ?

Philippe : Oui, Justine… Elle aussi, elle était malheureuse avec un homme.

Ami : Et vous vous êtes rencontrés… ben t’as de la chance.

Philippe : Ah …

Ami : Mais dis-moi, quand même, pourquoi on se voit jamais ?

Philippe : Beuh…

Ami : Beuh, je sais pas… je sais, oui.

Philippe : Ben voilà.

Ami : Tiens, heu, pourquoi tu m’as téléphoné tout à l’heure ?

Philippe : Pour te voir.

Ami : Non, mais pourquoi ce soir ?

Philippe : Parce que Justine était pas là !

Ami : Et ben voilà…

Philippe : Voilà, quoi ?

Ami : Et ben, y’a que les femmes qui comptent pour toi.

Philippe : Eh…

Ami : Et ben, eh… c’est comme ça… Tiens, j’ai écrit un article sur l’Huma… Je dois le rendre demain au journal. Bon, je te le lis pas en entier parce que je sais que ça t’embêterait…

Philippe : Ah, tu n’as pas tort.

Ami : Oui, juste la fin… : « Nous avons la liberté du droit, mais nous n’avons pas celle de la vie. Les pouvoirs de l’argent, des médias et de la police en nous imposant l’image de la liberté qu’ils nous concèdent, qui est leur liberté, nous empêchent d’imaginer ce que serait la vraie liberté, notre liberté. Aussi, nous sommes incapables de penser collectivement ce que nous ressentons individuellement : que nous ne sommes pas libres ! C’est pourquoi chacun continue de lutter seul, sans même avoir conscience de ce qu’il fait, enchaîné par le travail auquel sa survie et celle des siens l’obligent, isolé dans le temps de sa propre vie, qu’il doit malgré tout mener. Quand cela finira-t-il ? »

  • Séquence 56. Int. Jour. Appartement de Justine et Philippe.

Sans dialogue.

  • Séquence 57. Int. Jour. → Int. Jour. Entrée de l’appartement d’Annie, cuisine de l’appartement.

Philippe : Bonjour.

Baby-sitter : Bonjour.

Philippe : Ça va ?

Baby-sitter : Bien merci.

Philippe (à Lucie) : Allez… on met le petit manteau parce qu’on va aller au jardin… hein ? T’as envie ? Allez… mets la bien ta manche… ben qu’est-ce que tu fais avec ta main ?

  • Séquence 58. Ext. Jour. → Int. Jour. Parking d’une usine de confection textile, intérieur de l’usine.

Styliste (à Justine) : Moi, je dirais 3 cm à la taille, sinon 4 et autant… tournez-vous s’il vous plaît… tournez-vous encore, excusez-moi… voilà, voilà… ne bougez pas… voilà, c’était trop large… voilà… ne bougez toujours pas… voilà… c’est bon… voilà.

  • Séquence 59. Ext. Jour. Voiture du père de Philippe.

Philippe : Tu te rends compte, une gamine de quatre ans… une aiguille pointue, si elle voit ça, elle la ramasse aussitôt…

Père : En même temps, les enfants ça passe toujours au travers de tout. Ne t’inquiète pas. Et puis Annie n’est pas folle, elle fait attention… Elle les aime autant que toi après tout tes enfants !

Philippe : Ah, n’empêche qu’elle était là la seringue… par terre, hein…

Père : Écoute, si tu commences à t’en faire pour les enfants, tu vas devenir fou… Et ce n’est pas parce que tu vivrais avec eux qu’ils seraient à l’abri de tous les dangers, non ?

Philippe : Non…

Père : Bon, alors voilà. Si l’amant d’Annie laisse traîner ses seringues, ce n’est pas ta faute.

Philippe : Eh, oh, ben quand même…

Père : Y’a pas de quand même. Vous n’êtes plus ensemble, tu vois tes enfants deux fois par semaine, tu les aimes, ils t’aiment, leur mère les aime et prend soin d’eux. Et vous continuez votre vie chacun de votre côté avec les enfants entre vous. Et tout va bien, voilà !

Philippe : Heu… bon.

  • Séquence 60. Ext. Jour. → Ext. Jour. Sortie de métro, rue.

Camille : Dis Papa, c’est vrai que tu as pris la drogue ?

Philippe : Quoi ?

Camille : Maman, elle m’a dit que tu avais pris la drogue !

Philippe : Meuh, non ! Qu’est-ce que tu racontes ?

Camille : Tu mens ! Je sais que tu mens !

Philippe : Meuh, non… J’mens pas ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

  • Séquence 61. Int. Jour. Appartement de Justine et Philippe.

Philippe : Qu’est-ce qui se passe, hein ?

Justine (pleurant) : J’étais en train de me rhabiller… et puis je me suis souvenue que j’avais laissé mon collant, alors je suis retournée et là, y’avait la maîtresse du patron, et il l’embrassait…

Philippe : Oui ?

Justine : Allô ?

Philippe : Oui, ben, c’est pas grave ça !

Justine : Mais si, c’est grave. Après il a fait une réunion, que je pouvais pas rester, que j’étais pas mûre pour l’avoir.

Philippe : Mais non… Mais tu t’en fous, tu faisais ça comme ça, pour l’argent.

Justine : Oui ?

Philippe : Oui, mais je t’assure, c’est pas grave, hein.

Justine : Je rentre demain.

  • Séquence 62. Int. Rêve. → Int. Nuit. Appartement de Justine et Philippe.

Justine : Espèce de chien… espèce de chien… espèce de chien.

Justine : Tu t’en vas ?

Philippe : Je t’aime.

Justine : C’est quelle heure ?

Philippe : 3 heures et demie.

  • Séquence 63. Int. Jour. Atelier de Philippe.

Sans dialogue.

  • Séquence 64. Int. Jour. → Int. Jour. Café, appartement de Justine et Philippe.

Justine (pleurant sur son lit) : Tu m’aimes pas…

Philippe : Mais si je t’…

Justine : Tu m’aimes pas…

Philippe : Mais si je t’aime… J’ai été dehors au café. Viens.

  • Séquence 65. Ext. Jour. Rue à Paris.

Camille : Dis Papa…

Philippe : Quoi ?

Camille: Maman, elle est plus avec Moand.

Philippe : C’est vrai ça ?

Camille : Lui il est parti avec une femme, et Maman elle a pris toutes ses affaires et elle les a mises à la poubelle.

Philippe : Ah bon, ah…

Camille : Et qu’est-ce que ça fait la drogue ?

Philippe : Bah, tu te sens bien pendant, mettons 8 heures… et après tu as très, très mal…

Camille : Mais longtemps ?

Philippe : Ah, oui, oui… Jusqu’à ce que tu en reprennes.

Camille : Si tu en prends une fois ?

Philippe : Hola… Y’a même des drogues qui font très mal en une fois.

Camille : Et toi, tu en as déjà pris ?

Philippe : Non, je te l’ai déjà dit… Mais Mona elle en prenait, et elle est morte de ça.

  • Séquence 66. Int. Nuit. Chambre de Justine et Philippe.

Justine : Si tu veux tu peux retourner avec tes enfants.

Philippe : Mais, non !

Justine : Mais si ! Si t’es pas heureux avec moi…

Philippe : Bah…

  • Séquence 67. Int. Jour. Atelier de Philippe.

Sans dialogue.

  • Séquence 68. Ext. Jour. Entrée d’une station de métro.

Sans dialogue.

  • Séquence 69. Ext. Nuit. Voiture du Père.

Père : Je pense beaucoup à toi en ce moment. Ça me ramène aux premières années de ma séparation avec ta mère. J’ai mis 5 ans à ne plus me sentir coupable de vous avoir abandonnés, tes frères et toi. C’est peut-être parce que j’ai grandi sans père que je me suis dit que vous pourriez vous passer de moi. Ou peut-être que je me suis vengé inconsciemment sur vous d’avoir été abandonné par lui. Il est mort quand j’avais 5 ans, des suites de la guerre… Enfin, c’est ce qu’on nous disait… On vivait au Maroc, mais il était resté en France.

Philippe : Pourquoi tu as quitté Maman ?

Père : Parce qu’on s’entendait plus, parce qu’elle voulait tout diriger… parce que… après toi elle voulait encore des enfants et pas moi. 100 raisons ou aucune, c’est la même chose !

Père : Et Françoise ?

Philippe : Et comment tu connais son existence ? Ta mère t’en a parlé ?

Philippe : Non, non… J’ai lu son nom dans le contrat de divorce.

Père : Hm, hm… C’est toi qui l’as ?

Philippe : Non…

Père : Françoise, oui… c’était une raison… un prétexte ! Raison, prétexte, dans une séparation, c’est la même chose !

Philippe : Enfin, quand même, elle était là…

Père : Tu veux dire qu’on se sépare toujours à cause de quelqu’un d’autre ? C’est possible, oui. Ça change pas grand chose. S’il y a quelqu’un d’autre, c’est qu’il y avait la place pour quelqu’un d’autre. Ça revient au même, non ?… Enfin, au bout de 10 ans, j’ai compris que ça ne signifiait rien de se sentir coupable d’une chose qu’on ne pouvait pas ne pas faire. La vie est plus forte que tous les remords. Mais les remords n’ont rien à faire avec les histoires d’amour. Prendre le risque de l’amour, c’est prendre le risque de la mort, aussi… d’une certaine mort… la tienne et celle de l’autre… de la haine aussi… d’une certaine haine… c’est la vie ! C’est dialectique, comme disait l’autre, non ? Le plus dur évidemment, ce sont les enfants. Ils n’y sont pour rien les enfants. En les abandonnant, tu sais qu’au fond tu fais mieux qu’en continuant pour eux à vivre avec quelqu’un que tu n’aimes plus. Eux, évidemment, ils ne peuvent pas penser ça. Ils pensent que tu as tort… que tu ne les aimes pas assez. Qu’on peut toujours rester, qu’on doit toujours rester, pour eux… Ils pensent à eux d’abord, c’est normal, toi aussi tu penses à toi d’abord. Sauf que toi, c’est aussi eux. C’est peut-être le cadeau d’abandon que tu leur fais qu’ils puissent penser qu’ils seraient plus heureux si tu étais resté. Que tu sois le seul à savoir que tu as bien fait, ou que tu n’avais pas le choix, ce qui revient au même. C’est ça que tu as apporté. C’est ta seule responsabilité, et tu es obligé de l’assumer.

  • Séquence 70. Ext. Jour. → Int. Jour. → Int. Jour. Rue à Paris, café, rame de métro.

Justine : T’as vu, il a toujours sa chemise qui dépasse !

Camille : Tu fumes toi ?

Justine : Non.

Camille : Pourquoi tu lui dis pas d’arrêter de fumer ?

Justine : J’lui dis mais il m’écoute pas.

Camille : Et y t’écoute pas… il écoute jamais les personnes.

Philippe : Et, bon, eh, dites donc les enfants, si on parlait de quelque chose de beaucoup plus intéressant, hein ? De ce qui se passe à l’école en ce moment par exemple ?

Camille : L’école, y’a rien à en dire, c’est toujours la même chose.

Philippe : T’es toujours premier ?

Justine : Moi, j’étais toujours dernière.

Justine : Bon, ben, j’y vais… Au revoir Camille.

Camille : Au revoir…

  • Séquence 71. Int. Nuit. → Int. Rêve. → Int. Nuit. Chambre de Justine et Philippe.

Philippe : Bon, j’y vais. A la semaine prochaine, alors ?

Annie : Non, à jeudi.

Philippe : Comment jeudi ?

Annie : Oui, on est mardi soir, jeudi tu vois la petite.

Philippe : Ah, oui, c’est vrai, j’oubliais. Et toi Camille, qu’est-ce tu fais jeudi ?

Annie : Il est en vacances

Philippe : Tu veux venir avec nous ?

Camille : Ouais.

Philippe : Bon. Je passe vous prendre tous les deux ici à midi, O.K. ? Allez…

Annie : Surtout, heu… n’oublie pas de dire que tu vois des gens célèbres !

Philippe : Hein ?

Annie : Quand tu sors avec les enfants, n’oublie pas de dire que tu vois des gens célèbres.

Philippe : Ouais… Ben, je comprends pas.

Annie : Bon, ça fait rien.

Philippe : Bon, allez, salut.

Dame âgée : Bonsoir, monsieur.

Philippe : Bonsoir, madame.

Justine : Tu es mon amour… Mon amour, c’est toi.

  • Séquence 72. Int. Jour. Appartement de Justine et Philippe.

Philippe : Allô, oui ?

Ami : Philippe ?

Philippe : Oui ?

Ami : C’est moi.

Philippe : Salut, ça va ?

Ami : Oui, oui… dis moi, tu sais où est ton père ?

Philippe : Non, pourquoi ?

Ami : Je crois qu’il est à l’hôpital. Je suis pas…

Philippe : Hein ?

Ami : Je ne suis pas sûr, mais, j’avais rendez-vous avec lui…

Philippe : Qu… Qui t’as dit ? Quel hôpital ?

Ami : Je ne sais pas. Tu me tiens au courant ?

Philippe : Oui, je te tiens au courant, merci, salut.

  • Séquence 73. Int. Jour. Couloir et chambre d’hôpital.

Philippe : Bonjour, Papa.

Père : Ça me fait plaisir que tu sois là, mais c’était pas nécessaire tu sais.

Philippe : Comment ça va, Papa ?

Père : Très bien. Je sors demain. C’est rien… juste une alerte. Puisque tu es là, je voulais te dire… J’ai beaucoup de chose à te dire. Tu sais, il faut être honnête, avec soi-même, avant tout… Moi, j’ai passé ma vie à faire l’acteur, à m’échapper… Je me suis trompé… trompé… Tu n’as rien dit à personne, j’espère ?

Philippe : Non, heu…

Père : Je ne veux pas que tes frères sachent, ni personne, hein ? Y’a que toi et Thérèse qui devez savoir… Ton père, tu sais…

Philippe : Mon père ?

Père : Non, mon père, je veux dire, ton grand-père…

Philippe : Ah !

Père : Il est mort ! Comme Baudelaire, tu sais, avant de mourir, tu deviens fou… il est mort fou. Garde ça pour toi ! Et ta mère, aussi, je voulais te dire… Non, ma mère… Elle était noble, oui… Elle avait fait une mésalliance, tu sais, comme on disait dans sa famille. Elle était vraiment, c’était vraiment quelqu’un de noble, tu comprends ?

Philippe : Hm…

Père : C’est toi, c’est sur toi que je compte ! Et tes enfants, tu comprends ?

Philippe : Oui.

Père : Je peux compter sur toi ?

Philippe : Oui, Papa.

Père : Pour tes enfants, je voulais te dire, j’ai pas eu le temps la dernière fois… Apprends leur à être honnête avec eux-mêmes, c’est tout ! Ça suffit. Tu comprends, ça, tu comprends ?

Philippe : Oui, Papa.

Père : Tu fais bien ton travail… Apprends leur à faire comme toi… Tu me promets ?

Philippe : Oui, oui.

Père : Je veux que tu te souviennes de ça, hein ?

Philippe : Tu veux que je t’apporte quelque chose ?

Père : N…

Philippe : Hein ?

Père : Non, je suis un peu fatigué, laisse-moi…

Philippe : Je reviendrai demain…

Père : Bien sûr.

Philippe : Hein ?

Père : Porte-toi bien, fais attention à toi.

Philippe : Toi aussi, Papa.

Père : Tu dis rien à personne, hein ?

Philippe : Non, non.

  • Séquence 74. Int. Jour. Chambre funéraire.

Sans dialogue.

  • Séquence 75. Ext. Jour. Rue.

Sans dialogue.

  • Séquence 76. Ext. Jour. Cimetière.

Justine : Ch’uis heureuse d’être enceinte de toi…

Philippe : Oui ?

Justine : On va avoir un enfant, alors ?

Philippe : Oui… on va avoir un enfant ensemble…

Notes
991.

Cette phrase est tirée d’un des derniers poèmes d’un hétéronyme de Fernando Pessoa, Alvaro de Campos : « Toutes les lettres d’amour sont

Ridicules.

Elles ne seraient pas des lettres d’amour si elles n’étaient pas

Ridicules.

Moi aussi, j’ai écrit autrefois des lettres d’amour,

Comme les autres,

Ridicules.

Les lettres d’amour, s’il s’agit bien d’amour,

Se doivent d’être,

Ridicules. Mais, après tout,

Il n’y a que les créatures qui n’ont jamais écrit

De lettres d’amour

Qui sont Ridicules.

Comme j’aimerais revivre le temps où j’écrivais

Sans m’en rendre compte

Des lettres d’amour

Ridicules !

La vérité, c’est qu’aujourd’hui

Ce sont mes souvenirs

De ces lettres d’amour

Qui sont

Ridicules.

(Tous les mots paroxytoniques,

Comme les sentiments paroxystiques,

Sont naturellement,

Ridicules.) »

Cf. Robert Bréchon, Étrange étranger, Une biographie de Fernando Pessoa, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1996, pp. 456 et 457.