Le Vent de la nuit

Sans dialogue.

Hélène (voix-je) : « Quand on s’est rencontré et que tu t’es déclaré, je me suis dit : “Ce type-là, il est fou”, j’y croyais pas. Qu’est-ce qu’il cherche ?… Et puis je me suis rendue compte que j’en avais envie et je me suis dit : “Même si c’est pour ton pognon, ma pauvre fille, qu’est-ce que tu en as à foutre, tu l’emporteras pas avec toi ! ” Alors je me suis dit : “O.K. pour tout flamber !” (Je parle pas de l’argent, là, je parle de moi). Et maintenant, c’est toi qui recules. »

Paul : Relève tes cheveux. Je t’aime sévère. Avec tes lunettes.

Hélène : Tu aimes ?

Paul : Oui…

Hélène : T’aimerais pas un peu le cul, toi… ?

Paul : Viens ici…

Paul : Tu es belle…

Hélène : J’ai perdu une petite fille, y’a huit ans. Elle est morte à sa naissance. Maintenant, je peux plus avoir d’enfant. C’était mon premier enfant. Elle a pas survécu.

Paul : C’est triste.

Hélène : Oui.

Paul : On va faire un bout de chemin ensemble… et puis peut-être je…

Hélène : Pourquoi tu me dis ça ?

Paul : Parce que c’est la vérité. Tu crois pas ?

Hélène : Non. Si on devait penser à la fin au début de chaque histoire alors… Moi, je pense pas à l’avenir. Si je pensais à l’avenir, je serais pas là avec toi.

Paul : Moi, si…

Hélène : J’ai vu une jeune fille très sensuelle qui sortait de la maison tout à l’heure… Là… tout ce qu’elle dégageait… son âge, tout ça… Ça… ça m’a fait… ça m’a fait mal… J’ai pensé que tu pouvais la rencontrer… et tomber amoureux.

Paul : Mais t’es dingue de te faire du mal comme ça. Mais quelle fille ? J’ai jamais vu une fille vraiment belle dans cet immeuble. Jamais.

Hélène : Et moi, pourquoi tu m’as voulue ?

Paul : Ahh… mais arrête de te faire souffrir. S’il te plaît.

Hélène : Tu le veux vraiment ?

Paul : Je t’ai fait de la peine ?

Hélène : Non, pourquoi ?

Hélène : T’as envie qu’on se quitte ?

Paul : T’es folle !

Hélène : Alors, pourquoi tu m’as dit ça tout à l’heure ?

Paul : Ça m’a traversé l’esprit. Ch’uis con, des fois !

Hélène : Embrasse-moi.

Paul : Tu vas… tu vas me faire renverser ma glace ! Viens.

Paul : Peut-être je pars après-demain.

Hélène : Ah bon ? Tu pars où ça ?

Paul : À Naples. Je dois inaugurer une sculpture que j’ai faite sur un chantier… J’t’appellerai.

Hélène : Et tu rentres quand ?

Paul : Ben ch’ais pas s’ils m’ont donné un billet open ou quoi… heu… Mais dès que je saurai j’t’appelle.

Hélène : Remarque, tu dois être fier, c’est la première fois, non ?

Paul : Ben, ouais… bien sûr ! Oui !

Hélène : Tu veux pas qu’on essaie de rester plus longtemps ensemble ce soir ? J’peux essayer de m’arranger.

Paul : Ce soir, je peux pas, j’ai des tas de trucs à faire. À mon retour, si tu veux…

Hélène : J’ai pas envie que tu partes.

Paul : Moi non plus. Mais c’est important. De toute façon…

Hélène : J’aurais pu m’arranger, tu vois, pour partir avec toi. Mais là, à la dernière minute… Remarque, c’est encore possible parce que… il est pas méfiant. Il est habitué à voyager sans moi… moi, pareil.

Paul : J’y ai pensé, mais… j’avais peur que ce soit trop compliqué pour toi. J’voulais pas que t’aies d’emmerdes. Et puis, c’était pas sûr en plus…

Hélène : C’est con, parce que j’en ai vraiment envie. Pas toi ?

Paul : Ben si… Taxi !

Hélène : Paul !

Serge : T’as bien réussi ton truc !

Jean : Ah, bon… Ch’ais pas… J’ai mieux réussi ici… ici là… c’est plus tendu… Il y a quelque chose… qui me gêne là… j’aurais dû couper un peu plus… Enfin c’est fait… On va passer à autre chose maintenant…

Serge : Salut. J’y vais.

Jean : Ah, dis donc… attends !

Serge : Quoi ?

Jean : Tu pourrais remmener Paul… heu… à l’aéroport à Naples ?

Serge : Paul ?

Jean : Paul, mon assistant.

Serge : Pourquoi tu le ramènes pas toi ?

Jean : Parce que moi je dois rester ici, j’ai encore du travail.

Serge : Ouais.

Jean : Merci.

Paul : Ch’uis un peu déçu, c’est un peu merdique, non, vous trouvez pas ?

Serge : Quoi ?

Paul : Ben l’art, c’est pas à ce moment-là que ça se passe, quand y a le maire adjoint, le préfet et tout ça… C’est déprimant, non ?

Paul : On est où ici exactement ?

Serge : Positano.

Paul : Vous étiez déjà venu ?

Serge : J’ai vécu là pendant un an.

Paul : Ah… vous faisiez quoi ?

Serge : Rien. On était cinq ou six dans une maison. On vivait.

Paul : C’était quand ?

Serge : En 69.

Paul : Et en 68, vous étiez où ?

Serge : Paris.

Paul : Vous avez fait la révolution, alors ?

Serge : Comme les autres.

Paul : Vous y avez cru ?

Serge : Ouais. Non… On y va ?

Paul : Attendez. Je fais une photo.

Sans dialogue.

Paul : Et en 68, vous faisiez quoi… à part les manifs… heu… Vous posiez pas des bombes… des trucs comme ça en fait ?

Serge : On était révolutionnaire. Et quand on est révolutionnaire, on fait la révolution.

Paul : Ah ouais ? Être, ça vous suffisait en fait. Ouais… c’est un peu comme moi… enfin, comme je voudrais faire… En attendant de trouver une solution, là… moi j’étudie, j’étudie un max… En ce moment je suis aux Beaux-Arts, mais… heu… avec la crise, tout ça, plus personne achète de tableaux… heu… de sculptures… Alors moi je vais pas prendre de risque… J’vais faire archi plutôt… Comme ça, je pourrai être votre assistant…

Serge : Assistant comme avec Jean ?

Paul : Ben ouais !

Serge : Tu sais l’architecture c’est comme le reste, hein, y’a pas beaucoup de boulot…

Paul : J’vais acheter des cigarettes… vous en voulez ?

Serge : Non…

Paul : J’pourrais vous demander un truc… Je pourrais pas rentrer avec vous, demain ?

Serge : Mais, moi, j’serai pas à Paris avant après-demain.

Paul : Oh, j’préfère, c’est pas grave.

Serge : Pourquoi t’as rien à faire à Paris ?

Paul : Non.

Serge : Ben tu prends l’avion plus tard. Va voir Pompéi, Herculanum… Profites-en.

Paul : Ouais… mais il faut quand même que je rentre, hein… J’pourrais… J’pourrais avoir raté mon avion, vous voyez ? Comme ça, je pourrais en profiter pour réfléchir… Vous voulez que je vous explique ?

Serge : Non, non, c’est pas la peine…

Paul : Heu… Serge… merci beaucoup, hein…

Serge : Bon d’accord, mais si j’t’emmène pas jusqu’au bout, faudra pas m’en vouloir.

Paul : Ben, vous allez pas m’abandonner sur un parking, quand même ?

Serge : Ça, ça se pourrait !

Sans dialogue.

Paul : … ça vous fait quoi exactement les électrochocs ?

Serge : Ça t’brûle le cerveau.

Paul : Pourquoi vous en avez eu ?

Serge : Après 68, certains se sont retrouvés en taule… d’autres en bataillon disciplinaire… et d’autres en psychiatrie.

Paul : Vous allez pas me dire qu’ils vous ont fait des électrochocs parce que vous avez fait mai 68 ?

Serge : On peut pas le dire comme ça… mais, c’est pourtant comme ça que ça s’est passé.

Paul : Mais vous êtes attaché quand ils vous font ça… des électrochocs ?

Serge : Ouais, t’es attaché sur une… une plaque de plomb, sur une machine. Dans un bloc à électrochocs.

Paul : Vous devez résister, alors les mecs ils doivent… heu…

Serge : Ouais… Il sont… ils sont deux ou trois, ils te tiennent, tu résistes, tu te débats…

Paul : On vous amène de force, dans une pièce… c’est un cauchemar, ça… sans savoir ce qu’ils vont vous faire…

Serge : Ouais tu vois une machine avec des cadrans partout, y t’attachent avec des lanières de cuir sur une plaque de plomb… Putain c’que ça te fait mal quand tu te réveilles… J’ai tellement eu mal que, dans la cour de l’asile, j’ai pissé sur les fils de fer barbelés parce que je voulais… heu…

Paul : Vous foutre en l’air ?

Serge : Ouais…

Paul : … et ils étaient pas électrifiés en fait.

Serge : Non.

Serge : Elle a dû être belle cette maison !

Paul : Vous voulez l’acheter pour vos vieux jours ?

Paul : À propos sur le chantier à Ravelo…

Serge : J’ai pas envie d’parler travail.

Paul : Bon d’accord…

Serge : Si tu me parles de travail, ça me fait penser à mon travail. Et vraiment… heu… j’ai envie de penser à autre chose.

Paul : D’accord.

Paul : Vous avez pas la radio ?

Serge : Non, moi quand je conduis, j’écoute mon moteur.

Paul : Votre femme, elle est architecte aussi ?

Serge : J’ai plus de femme.

Paul : Vous aviez une femme ? Elle vous a quitté ?

Serge : Elle s’est tuée !

Serge : Tu crois que les gens de ma génération sont restés coincés dans leur jeunesse, et qu’ils n’en bougent plus ?

Paul : Ça j’pourrais pas vous dire. J’en connais pas beaucoup. Pourquoi vous me demandez ça ?

Serge : J’ai l’impression de devenir fou. J’vois plus le monde comme il est mais plutôt comme il était…

Paul : Vous buvez jamais d’alcool ?

Serge : J’ai bu.

Paul : Beaucoup ?

Serge : Assez.

Paul : Et quoi d’autre ?

Serge : Tout.

Paul : Ça aussi ?

Serge : Héroïne ? Tu veux mourir ?

Paul : Ah, non… Vous inquiétez pas. Je maîtrise… parfaitement.

Paul : Moi j’ai toujours entendu dire qu’une Porsche ça se conduisait pas, ça se pilotait… Mais c’est quoi exactement la différence entre conduire et piloter ?

Serge : Contente-toi de conduire.

Serge : Tiens sors ici, là… Y’a quelque chose que j’aimerais bien revoir.

Paul : C’est pas mal, c’est quoi ce truc ?

Serge : Un palais inachevé. T’as pas remarqué que les italiens étaient aussi forts dans l’inachevé que dans l’achevé ?

Paul : C’est marrant, on a toujours l’impression que vous dites deux choses en une seule fois.

Serge : Il vaut mieux tout dire en une seule, non ? Non ?

Paul : Vous êtes un malin, vous, hein ?

Serge : Le vrai malin, c’est celui qui est malin le dernier.

Serge : Qu’est-ce que tu me fais là ?

Paul : Rien, ch’uis pas malin, moi je sais conduire alors je conduis…

Serge : Conduis calmement ! D’accord ?

Paul : Mais, concrètement, ça se passait comment exactement ?

Serge : Comment les mecs ils maintenaient le pouvoir étudiant ?

Paul : Ouais.

Serge : Ils faisaient des réunions… C’était comme des politiques…

Serge : Y’avait les vieux qui disaient aux jeunes : “Continuez, nous on attend ça depuis 36”. Et c’était tous des vieux, tu vois… C’était des vieux anarchistes… Génial ! Et puis… y’avait une chambre à côté où avait lieu où il y avait le pouvoir si tu veux, tu vois… y’avait un étudiant qui sortait… il arrivait… c’était toute une mise en scène. Il frappait sur le mur comme ça et y disait… alors là les mecs y baissaient le ton… y disait : “Mot d’ordre”… Des types, y’en avait qui disaient : “À Denfert-Rochereau ! Demain !” Demain, quelle heure ?… Alors, y’a un mec qui disait : “23 heures”. “23 heures demain à Denfert ? On sera 3000 ! Dissolution !” Et tous les mecs se barraient.

Paul : Et ils allaient tous mobiliser sans que les flics soient au courant ?

Serge : Non, sans que les flics soient au courant.

Paul : Et chaque soir, c’était un endroit différent.

Serge : Tous les soirs, ouais… Et le lendemain, quand ch’uis arrivé à Denfert, c’était hallucinant… Il y avait des ouvriers, avec des pelles mécaniques, ils arrachaient tous les feux rouges…

Voix (sur répondeur téléphonique) : « Bonjour, vous êtes chez Jérôme et Solange. Nous ne sommes pas là, ni les enfants. Vous pouvez, si vous voulez, laisser un message. »

Serge : Jérôme ? Serge. T’es peut-être parti en vacances avec toute ta petite famille. Je voulais te parler, mais c’est peut-être mieux comme ça… Voilà : je m’en vais. Et quand t’apprendras la… la chose officiellement, tout… tout est prêt. Tu trouveras les papiers sur mon bureau. Embrasse Papa. Évidemment, j’t’embrasse aussi.

Paul : Ça va ?… J’me… Ah ?… C’est du médicament ?

Serge : Ouais, t’inquiète pas.

Paul : C’est pas très grave ?

Serge : Non, c’est pas très grave, non.

Paul : Vous êtes sûr ? J’peux… j’peux… j’peux al… aller racheter le même…

Serge : Qu’est-ce qui t’arrive ?

Paul : Ben, rien, j’vous renverse votre truc… ch’uis… ch’uis désolé, quoi.

Serge : Qu’est-ce qui t’arrive ?

Paul : Ben rien, j’ai pris un peu… y’a… y’a… y’a… plein de mecs qui vendent… qui vendent des… des trucs dans la rue, là… donc, j’ai craqué un peu… j’voulais vous demander si vous vouliez pas… pas… un verre avec m…

Paul : Tu vois un mec de mon époque, quand même… on est un peu admiratif par rapport à vous… Enfin admiratif, c’est… j’exagère… Mais on est intrigué, parce que toutes les drogues des gens de… de mon âge… ça a jamais provoqué des hallucinations… ça t’a… ça t’a jamais explosé le cerveau, ce genre de choses… C’est… c’est la grande différence que je sens entre vous et moi… sur cette expérience-là… Moi, j’ai pris de la coke… ça m’a rendu… un peu… un peu bizarre… l’héroïne, c’est le vomi, c’est les chiottes… t’es à quatre pattes par terre dans les chiottes, c’est… tu bandes plus… mais, j’ai jamais décollé vraiment. Mais quand je parle avec des gens de ta génération, c’est toujours des gens qui ont décollé de la réalité, tu vois ce que je veux dire ? Et heu… ch’ais pas… par exemple, le crack, c’est un truc… heu… tu décolles pas vraiment… C’est une espèce de bec Bunsen qui s’allume dans le cerveau, mais… mais… ça dure… et puis, c’est rien, c’est de la merde… J’ai jamais décollé vraiment.

Serge : J’crois que la vrai différence, c’est surtout que… qu’à mon époque se défoncer, c’était… vouloir être un peu seul. Mais le LSD je te dis pas, c’était… terrifiant.

Paul : Et tes femmes, elles en prenaient aussi ?

Serge : Ouais…

Paul : Et vous baisiez ? Ça vous empêchait pas ?

Serge : J’ai jamais baisé !

Paul : Huff… ?

Serge : J’ai jamais baisé !

Paul : Oh, oh, oh… Non, mais alors ?

Serge : Généralement, j’en parle pas.

Paul : Vous en parlez avec elles ?

Serge : Avec elles, si !

Paul : Avec les autres, non… avec moi, non ?

Serge : C’est ça.

Paul : Ben, on n’en parle pas alors ?

Serge : Si tu veux parler, parle.

Paul : Mais toi t’en parles pas ?

Serge : Non !

Paul : Ben pourquoi ?

Serge : Parce que pour moi les femmes, c’est sacré.

Paul : Ben, sacré, c’est un sacré mot, ça, hein !

Serge : J’en n’ai pas d’autre.

Paul : Mais, heu… c’est quoi sacré pour toi… heu… c’est… heu… intime… c’est privé… heu ?

Serge : Non, c’est ce qui sauve, c’est ce qui reste quand il y a plus rien.

Paul : Ben salut, alors.

Serge : Salut.

Paul : Tchao !

Hélène : T’as pensé à moi ?

Paul : Ben, oui, j’ai pensé à toi.

Hélène : À quoi t’as pensé ?

Paul : Que j’avais envie ?

Hélène : T’avais envie comment ?

Paul : Ch’ais pas… j’avais envie de tes seins… j’avais envie…

Hélène : Menteur.

Hélène : Dis-moi ?

Paul : Hmm… Tout à l’heure…

Hélène : T’es plus contre moi ?

Paul : Non…

Sans dialogue.

Hélène : Je vais te faire un chèque, pour le téléphone.

Paul : Ah, non… Ah, non je veux pas !

Hélène : Ah, écoute…

Paul : Non, j’t’assure… s’il te plaît…

Hélène : C’est important qu’on puisse se téléphoner.

Paul : Oui, mais c’est important que ce soit pas toi qui payes.

Paul (au serveur qui apporte les verres) : Merci.

Hélène : Hmmm… C’est le meilleur Martini Gin de Paris. Goûte… Tu aimes ?

Paul : Ouais.

Hélène : Voilà, c’est là. C’est les fenêtres là-haut, au troisième. Tu montes ?

Paul : T’es folle !

Hélène : Mais pourquoi ? T’as tort. Mon mari est très ouvert. Il rencontre toutes sortes de gens.

Paul : Ben, peut-être, mais pourquoi moi, hein ?…

Hélène : J’ai envie que tu connaisses mon mari.

Hélène : T’as peur ?

Paul : Ben non. Allons-y, j’ai peur de rien moi. Et toi ?

Hélène : Allez…

Hélène : Embrasse-moi…

Le Mari : Il avait une admiration folle pour les sportifs. Et une pensée véritable sur le sport. Sur l’intérieur du sportif : sur sa démarche… sur sa psychologie… sur sa souffrance. C’est aussi un regard sur lui-même… Quand il parle de l’athlète… cet athlète qui meurt en lui… cet athlète qu’il n’a jamais été… l’alcoolique qu’il était… et qui vivait sa dégradation jour après jour… et la considérait avec une grande lucidité… Moi je compare souvent Blondin à quelqu’un qui aurait vécu sa vie… écrit son œuvre… avec le regret de n’être pas quelqu’un d’autre. Vous comprenez, Paul ? Ça ne vous ennuie pas si je vous appelle Paul ? Y’a des gens qui souffrent de ne pas avoir été des poètes ou des… artistes. Lui, Blondin, il souffrait de ne pas être un sportif. Et il se regardait se suicider… devant des athlètes qu’il jugeait… magnifiques… meilleur que lui.

Le Mari (à Hélène) : Tu voudrais pas baisser un peu ton truc ? On s’entend plus.

Paul : C’est marrant, moi… moi j’ai toujours cru que c’était un mec de droite… Presque carrément facho sur les bords.

Le Mari : Pas du tout ! C’était, si vous voulez… un anarchiste de droite… Puisque tout le monde était de gauche à l’époque… forcément, il fallait bien qu’il soit de droite. Mais c’était pas un pro-nazi… pas du tout. Tous les intellectuels, tout le… tout le monde était de gauche à l’époque… C’était les conséquences de la guerre… des choses épouvantables qui avaient eu lieu pendant… six ans. Il méprisait complètement cette attitude. Il la trouvait… moutonnière. Parce que bien sûr, s’il y avait beaucoup de gens… qui étaient engagés… réellement… il y en avait beaucoup d’autres… qui affectaient seulement d’être de gauche. Lui, il avait décidé de vivre à sa manière. De vivre sa vie d’intellectuel en étant dégagé de tout ça. Alors… non ! Il n’avait pas le sens du collectif, c’est vrai. Mais il s’intéressait à chacun… au sort de chaque individu. Et puis… il avait le sens de l’amitié. C’est amusant d’ailleurs… Il a dit à sa femme, juste avant de l’épouser : « Je ne vous ferai pas vivre dans le luxe… mais je vous ferai connaître mes amis. » Je vous ressers ?

Paul : Heu, non… heu… faut que j’y aille, maintenant… Merci beaucoup.

Le Mari : Passez quand vous voulez…

Paul (à Hélène) : J’te fais la bise… (après qu’Hélène a brisé son verre) Ben, heu… Vive l’anarchie !

Le Mari : J’connais un médecin…

Paul : Ben appelez-le

Le Mari : J’connais un médecin à côté, je vais… le chercher ça ira plus vite que d’appeler le SAMU !

Paul : Et ben allez le chercher… allez le chercher… allez le chercher !

Hélène : Desserre un peu la ceinture, s’il te plaît, ça me fait mal.

Paul : Si je desserre, tu perds tout ton sang.

Hélène : Ça me fait vraiment trop mal… Sois gentil, Paul, desserre-la un peu.

Paul : Si je desserre, tu vas mourir ! T’as pas envie de mourir… je suis sûr que tu as pas envie de mourir ?

Hélène : Non, mais attends… ça me fait vraiment mal. Desserre un peu. De… aïe… oh, non écoute. Oh, délivre-moi Paul… délivre-moi !

Paul : Pense à tout ce que t’as pas encore vu. Pense à tout ce qui te reste à voir.

Hélène : J’ai mal.

Paul : Tu connais le désert ?

Hélène : Non… j’m’en fous… Tu me fais mal.

Paul : Fais-moi confiance. Fais-moi confiance… juste pour me faire confiance.

Hélène : Oh, j’ai mal au cœur… j’ai mal au cœur…

Le Mari : C’est là… je vous en prie…

Hélène : Ahh… Qu’est-ce que vous allez me faire ? No…

Hélène : Oh, je boirais bien quelque chose.

Le Mari : Ça va ?

Hélène : Hmm !

Le Mari : Oui ?

Hélène : Hmm !… Ah, oui ! T’as pris du vin blanc ?… Bon ben… oh, ch’uis con.

Serge : Allô ? Ouais ?… Salut, Paul. Ouais et toi ?… Non je peux pas. Non je vais à Berlin… Tu me redonnes ton numéro de téléphone ? Ouais… J’te rappelle. Salut.

Serge : T’as eu peur ?

Paul : Ben oui !

Serge : Tu lui as reparlé depuis ?

Paul : Non.

Serge : T’as pas peur qu’elle recommence ?

Paul : Ben oui, mais tu vois, c’est le genre de fille tu la quittes cinq minutes pour acheter le journal ou pour prendre une douche, tu sais pas comment tu vas la retrouver… Elle souffre, mais elle est chiante. Puis y’a un truc bizarre que j’ai senti… je sais pas si c’est pareil pour tous ceux qui veulent se suicider, mais… mais... heu… t’as l’impression qu’ils sont déjà plus là, tu vois… comme s’ils étaient déjà de l’autre côté.

Serge : Tu vas trop vite.

Paul : Ben, y’a pas de limite là.

Serge : J’en sais rien, mais… tu vas trop vite. Alors s’il te plaît, tu ralentis.

Paul : Au fait j’t’ai pas demandé… Pourquoi on va à Berlin ?

Serge : Boulot !

Serge : Qu’est-ce que tu glandes ?

Paul : … Tu sais j’ai arrêté l’héro.

Serge : Depuis quand ?

Paul : Ben… depuis l’autre fois. Faut que je sois clair si je veux être ton assistant. T’as pas oublié ?

Serge : Et tu vas continuer ?

Paul : Ben oui.

Serge : Tu le jures ?

Paul : Ben, s’tu veux, oui…

Serge : Alors, dis-le.

Paul : Ben je le jure, j’te le jure… j’te le jure.

Paul : Oh, y’a un p’tit bar là, tu veux pas t’arrêter ? 5 minutes… Ça fait 3 heures qu’on roule, là… Super... Vas-y, vas-y, y’a pas de flics, c’est bon.

Barman : Du bist ein...

Paul : P’tain y continue lui, t’as pas vu comment y m’a parlé tout à l’heure… Obersturmfürher, va ! Pas la peine de se demander ce qu’il faisait en 1940, lui...

Serge : J’croyais que ta génération avait oublié tout ça.

Paul : Ouais… ben pas quand on est dans un repère de nazis…

Barman (à Serge) : Vous voulez bien ramener votre ami, s’il vous plaît, monsieur.

Paul : Aufwiedersen, hein… Heilut !

Serge : Tu t’es conduit comme un con !

Paul : J’étais un peu con hier soir, hein ?… Tu m’excuses ?

Sans dialogue.

Paul : Hmm… Hey, elle est super canon, t’as vu ?

Serge : Vas-y !

Paul : Y’en a pas des comme ça à Paris… Non mais j’reste avec toi, vas-y.

Serge : Non, moi je vais à mon rendez-vous, vas-y.

Paul : Mais j’ai pas d’argent ! Tu veux pas me prêter 200… à ben t’es gentil. J’te les rends, hein. Danke schön.

Serge : À tout à l’heure.

Paul : Ouais. Heu… Allo, güten tag !

Prostituée : Tag !

Paul : Heu… Du speech franzöze ?

Prostituée : No…

Paul : Attends, j’comprends pas… Heu… Viewel ?… heu… Tu veux… heu… viewel ?

Prostituée : Zweihundert...

Paul : Zweihundert ? Y’a ma zimmer, là… Danke…

Sans dialogue.

Paul : Ça va ? Ça c’est bien passé ?

Serge : Bien, et toi ?

Paul : Moi ? Ah, ah… Bof… Ah, ah… bof… Tu trouves que je suis gonflé ?… Non, par rapport à mon amie ?

Serge : T’as des nouvelles ?

Paul : Non. J’ai pas appelé… J’aurais pu, mais… Ça me fait peur… c’est vraiment une autre personne… ça me fout les jetons… C’est une fille qu’a toujours eu du blé… elle est vachement bourgeoise… même elle est pas con… Là, j’ai l’impression qu’elle a… qu’elle a envie de tout faire péter.

Serge : Peut-être qu’elle t’aime, c’est pour ça que tu as peur…

Paul : Non, ça me ferait pas peur…

Serge : Pourquoi elle a fait ça ?

Paul : Ch’ais pas… Remarque, ça m’étonne pas, mais… heu… savoir pourquoi, là vraiment je sais pas !

Sans dialogue.

Serge : Ouahh… Oufff… Ahh… Ahh…

Paul : Ça va ?… qu’est-ce que t’as ?

Serge : Non, non, ça va, ça va !

Sans dialogue.

Sans dialogue.

Conducteur : Vous êtes seule ?

Hélène : Non, merci.

Paul : Ben, c’est Hélène… Serge.

Hélène : Bonsoir.

Serge : Bonsoir.

Paul : Moi, j’crève la dalle… T’as pas faim, toi ?

Serge : On va dîner ?

Hélène : Oui.

Paul : Moi, j’ai jamais su manger avec des baguettes, moi…

Hélène : Vous voulez pas…

Serge : Tu veux des couverts ? Monsieur ?… Monsieur ?…

Hélène : Ton ami Serge il est sculpteur, lui aussi ? Hein ?

Serge : Une fourchette.

Paul : Heu, non, laissez… laissez tomber parce que moi j’vais… finalement, j’ai pas très très faim, ch’uis trop mort de fatigue… J’vais prendre mon sac… Vous pouvez me… me prêter les clés de votre voiture ?

Paul : Tu m’en veux pas là, mais ch’uis vraiment trop fatigué…

Hélène : Oui, oui, tu l’as déjà dit.

Serge : Salut, Paul.

Paul : Tchao.

Hélène : C’est drôle, mais j’ai l’impression d’être déjà venue ici… Il y a très longtemps.

Serge : Moi aussi, y’a très longtemps… J’dis n’importe quoi ! En fait ! Tenez, goûtez ça, c’est.. c’est délicieux. Goûtez… J’voudrais rester avec vous.

Hélène : Merci. Moi aussi j’aimerais bien rester un peu avec vous.

Serge : Vous pouvez m’attendre deux minutes ?

Hélène : Oui.

Pharmacienne : Merci. Merci.

Serge : J’voudrais une chambre.

Gardien de l’hôtel : Avec un grand lit ?

Serge : Avec un grand lit.

Hélène : J’ai le trac. C’est idiot, tu sais, mais c’est la première fois.

Serge : Moi aussi, j’ai le trac.

Serge : C’est mieux comme ça ?

Hélène : Oui.

Hélène : Quand on a 35/40, faire l’amour avec un homme beaucoup plus jeune, c’est merveilleux. On se sent des ailes. On se sent… admirée… supérieure… Ça rend fort. On profite de la jeunesse de l’autre. Tout est ludique… Après c’est plus pareil. Les rapports de force sont inversés… On est… on est à la merci de celui qu’on aime… On l’observe vous observant, enfin… on a toujours l’impression d’être observée quand on s’y attend pas. On se demande… est-ce qu’il voit ce que je vois quand je me regarde dans la glace ? Tous les petits détails. Le ventre… le cou… Enfin, j’te dis pas tout pour pas mettre l’accent dessus, hein… Tout ce qui fait mal, quoi. On a du mal à s’accepter.

Hélène : On ce connaît pas. Mais c’est comme si on se connaissait depuis longtemps.

Serge : Quand on fait l’amour on est très seul. Quand on fait l’amour très fort on est très seul. C’est justement parce qu’on est seul qu’on fait qu’un.

Hélène : J’aimerais savoir une chose… Quand tu m’as demandé de rester avec toi tout à l’heure, c’est parce que…

Serge (en même temps que le « c’est parce que… » d’Hélène) : C’est parce que… c’est parce que je me suis dit, quand je t’ai vu au carrefour, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là, à 11 heures du soir ? »

Hélène : hu, hu…

Hélène : Tu sais ch’uis pas perdue comme ça d’habitude.

Serge : Ah, bon ?

Hélène : Idiot ! Non, mais c’est parce que… je…

Serge : Oui ?

Hélène : Non, mais rien… Tu peux pas savoir… Ch’uis bien avec toi… Oui.

Serge (voix-je) : « Jérôme, J’ai décidé de quitter cette vie. Ne sois pas trop peiné pour moi. C’est la seule solution que j’ai trouvée. Prends soin de Papa, comme tu sais le faire. Ton frère qui t’aime. »