Chapitre 2. La théorie veblenienne de la science

Veblen souhaitait voir accéder les disciplines sociales et l’économie en particulier au rang des « sciences modernes » 113 . Il convient donc de s’interroger sur la nature et les fondements de cette modernité scientifique. La refonte de la science économique que notre auteur appelle de ses vœux trouve son origine dans la mise en évidence d’une révolution épistémologique que les économistes auraient, selon lui, été incapables de transposer dans leur champ (cf. infra partie 2). Le présent chapitre vise à éclairer la façon dont Veblen analyse cette nouvelle conception de la science, de son objet et de sa méthode, telle qu’elle apparaît au XIXe siècle.

Dans cette optique, nous commencerons par suivre la démarche de l’auteur consistant à replacer la science moderne dans l’histoire longue des systèmes de représentation du monde auxquels l’humanité a donné naissance (section 1). Puis, nous nous efforcerons de mettre son épistémologie en perspective, c’est-à-dire d’en identifier les fondements et d’en mesurer les implications. Nous montrerons alors que l’originalité de la théorie veblenienne de la science résident dans la diversité de ses sources d’inspiration, dont les principales sont la philosophie kantienne, le pragmatisme de Charles Sanders Peirce et l’évolutionnisme de Charles Darwin (section 2).

Notes
113.

Nous plaçons cette expression entre guillemets pour souligner le fait que Veblen utilise lui-même fréquemment le terme « modern science » (voir, par exemple, [1898a ; 1904a, pp. 360-373 ; 1906a ; 1908b ; 1914, pp. 253-265, 322-329 ; 1918c, pp. 23-30]). Nous nous garderons néanmoins de réitérer systématiquement cette précaution pour ne pas alourdir outre mesure le corps de la thèse.