Conclusion de la première partie

La première partie de notre travail avait en vue de souligner l’importance des fondements gnoséologiques du système de pensée veblenien. Nous avons montré que Veblen distinguait trois types de connaissances, correspondant à autant de mobiles différents auxquels peut répondre la production du savoir. L’accumulation des connaissances techniques vise à améliorer l’adaptation de l’homme à son environnement naturel, si bien que ce type de savoir est susceptible de servir l’intérêt général de la société dans son ensemble. Si la connaissance pragmatique est, elle aussi, un savoir « utilitaire », sa finalité est différente, en ce qu’elle vise à satisfaire l’intérêt d’un individu ou d’un groupe d’individus, les « intérêts établis », aux dépens d’autres membres de la société. Pour Veblen, la science ne relève d’aucune de ces deux formes de savoir. Elle n’est que l’une des manifestations, historiquement située, de la connaissance « désintéressée », dont la seule finalité est de satisfaire la curiosité des hommes.

La théorie veblenienne de la science peut être vue comme une synthèse de différentes idées, que notre auteur emprunte à la philosophie kantienne, au pragmatisme philosophique de Charles Sanders Peirce et à la pensée darwinienne. L’une des principales conclusions de cette épistémologie est que la science, c’est-à-dire son objet, sa méthode et ses critères de vérité, repose sur des postulats métaphysiques qui ont évolué suite aux transformations institutionnelles qui se sont produites dans les sociétés du monde occidental. Selon Veblen [1925, p. 5], « [ces] préconceptions s’apparentent, par nature, à des idées arrêtées ; elles ne fléchissent et ne s’ajustent aux changements en cours que tardivement et par renoncement » 201 . Toutefois, cette inertie est plus ou moins grande selon les champs disciplinaires. Ainsi, les sciences physiques et naturelles ont été beaucoup plus promptes que les disciplines sociales en général, et l’économie en particulier, à adopter le point de vue « évolutionniste » qui est né, au XIXe siècle, de l’impact du machinisme sur les institutions des sociétés occidentales.

Notes
201.

« Preconceptions are something in the nature of fixed ideas, and they yield and adjust themselves to current changes only tardily and concessively ».