Chapitre 3. Aux racines de l’économie marginaliste

Il a souvent été reproché à Veblen de s’être enfermé dans sa critique de l’économie marginaliste et d’avoir été incapable de développer un projet scientifique susceptible de constituer une solution de remplacement 204 [Perlman, 1992, p. 290]. Nous pensons, au contraire, que sa critique est indissociable de sa contribution positive. D’une part, la lecture veblenienne des théories économiques procède d’une démarche qui se veut conforme à la méthode « génétique » qu’il souhaite voir adoptée par les économistes. D’autre part, ses critiques découlent du contenu de son propre projet scientifique. Aussi l’interprétation critique que Veblen a donnée des théories économiques peut-elle nous permettre d’éclairer sa conception d’une économie « évolutionniste ».

C’est dans une série d’articles publiés principalement dans le Quarterly Journal of Economics et dont le cœur est un essai en trois parties intitulé « The Preconceptions of Economic Science » 205 , que Veblen a exposé de la façon la plus systématique sa lecture de la pensée classique et marginaliste. Son analyse vise clairement à mettre en évidence un lien de descendance entre la physiocratie, l’économie classique (section 1) et les théories de l’utilité marginale (section 2). Cette continuité ne signifie pas une invariabilité de la pensée économique, mais la permanence de certains éléments qui relèvent de « la psychologie des chercheurs » et des « prémisses logiques utilisées » [1899b, p. 93]. Plus que les théories elles-mêmes, ce sont ces préconceptions « façonnant [le] point de vue [des économistes] et les termes de leur formulation ultime de la connaissance économique » [1899b, p. 94] qui constituent l’objet de l’histoire de la pensée économique retracée par Veblen.

Notes
204.

La lecture de Mark Blaug [1999a, pp. 900-904] en est une illustration caractéristique.

205.

Cet essai [1899b ; 1899c ; 1900] a été précédé de « Why Is Economics not an Evolutionary Science ? » dans lequel Veblen [1898a] présente la problématique de son interprétation de la pensée économique et jette les bases de son projet scientifique. Il approfondira son analyse de « l’économie de l’utilité marginale » dans « Professor Clark’s Economics » [1908a] et « The Limitations of Marginal Utility » [1909].