1.2.1. Une lecture différenciée des écoles historiques allemandes

Il est certain que Veblen a lu plusieurs écrits caractéristiques des différentes écoles historiques allemandes et des « socialistes de la chaire ». Ses nombreuses recensions d’ouvrages publiées dans le Journal of Political Economy,attestent, en particulier, de sa lecture d’Adolf Wagner [Veblen, 1892c], de Gustav Schmoller [Veblen, 1898d] et de Werner Sombart [Veblen, 1897c ; 1903a ; 1915c]. Ces comptes-rendus et son article sur « l’économie de Schmoller » [1902] montrent que Veblen avait une vue étendue et différenciée des écoles historiques allemandes, même s’il a largement ignoré certains auteurs majeurs tels que Max Weber 325 . Nombre d’analyses comparatives de Veblen et des écoles historiques allemandes négligent par trop la diversité des approches regroupées sous l’appellation « The German Historical School » (cf. par exemple Dugger [1979, pp. 237-238]). Or, Veblen lui-même en souligne l’éclectisme. L’insistance qu’il y met est d’autant plus révélatrice qu’elle tranche avec sa tendance coutumière à homogénéiser à l’excès la pensée des auteurs qu’il discute. On ne saurait donc douter qu’il existe, pour lui, des différences essentielles entre diverses branches de la dite « école historique allemande ». Dès lors, il convient d’accorder une importance centrale à cette hétérogénéité, si l’on veut comprendre la lecture qu’en fait Veblen et, par là même, éclairer sa propre conception de l’évolution historique.

Il est faux d’affirmer, comme le fait Mayhew [1988, p. 31], que « [Veblen] se disait en désaccord substantiel avec les économistes historiques allemands ». En réalité, son jugement diffère grandement selon les auteurs, en fonction de leur mode d’intégration de l’histoire dans la science économique. Le schéma suivant synthétise l’interprétation veblenienne des écoles historiques allemandes selon leur approche respective des processus historiques :

Schéma 1 : L’interprétation veblenienne des écoles historiques allemandes
Schéma 1 : L’interprétation veblenienne des écoles historiques allemandes

Notes
325.

Veblen ne fait aucune mention de Weber dans son œuvre publiée. Toutefois, selon Diggins [1999, p. 131], c’est bien la thèse de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, publiée en 1905, qu’il discute dans son essai « Christian Morals and the Competitive System » [1910]. Diggins [1999, pp. 111-135] consacre un chapitre de son ouvrage à comparer les analyses veblenienne et wébérienne du capitalisme.