1.2.2. L’historicisme de la « branche aînée » (W. Roscher)

Veblen [1902, p. 258] considère les travaux de Wilhelm Roscher (1817-1894) comme représentatifs de la « branche aînée de l’économie allemande ». La conception qu’il se fait de « la portée et de la méthode de l’économie » serait donc très semblable à celles des deux autres principaux chefs de file de cette branche que sont Karl Knies et Bruno Hildebrand 326 . Selon Veblen, celle-ci serait fortement marquée par les préconceptions hégéliennes qui dominaient dans les cercles intellectuels allemands vers le deuxième quart du XIXe siècle. Aussi, lorsque Roscher oppose sa méthode « historico-physiologique » à la méthode « philosophique », il ne ferait, en fait, qu’exprimer son adhésion aux postulats métaphysiques de l’hégélianisme. En d’autres termes, Roscher serait à ce point imprégné de la représentation hégélienne du monde qu’elle serait, à ses yeux, l’expression même de l’évidence. Dès lors, ces préconceptions auraient irrémédiablement enfermé cette « branche aînée » dans une approche historiciste de l’évolution des sociétés. Ainsi, Veblen [1902, p. 261] estime que, pour Roscher, « l’avancée culturelle de l’esprit humain, se déroulant activement par nécessité innée, est un processus organique qui résulte logiquement de l’épanouissement de cet esprit » 327 .

Cette conception du développement culturel a, dans l’ensemble, les mêmes caractéristiques que toutes les autres approches d’inspiration hégélienne, dont celle de Karl Marx. Il n’est donc pas nécessaire d’insister sur la nature « pré-darwinienne » de cet historicisme. Explicitons simplement l’une des implications de cette recherche hégélienne des « ‘lois naturelles’ » de l’évolution des sociétés. Puisque l’agent du développement culturel est l’épanouissement de l’esprit humain et puisque cette force spirituelle est supposée être essentiellement la même à chaque moment du temps, les lois de l’évolution culturelle ne peuvent être mises à jour que par une étude scrupuleuse de l’histoire. Il s’ensuit que « les ‘lois naturelles’ découvertes de cette façon sont nécessairement de l’ordre d’un empirisme, lui-même faussé par les préjugés et les idéaux du chercheur » 328 [1902, p. 262]. Cette interprétation permet à Veblen d’établir un lien entre l’historicisme de la « branche aînée » des écoles historiques allemandes et l’historisme de la « branche conservatrice ».

Notes
326.

Rappelons toutefois que Knies et Hildebrand ont rompu plus radicalement que Roscher avec les principes de l’économie politique classique.

327.

« The onward cultural course of the human spirit, actively unfolding by inner necessity, is an organic process, following logically from the nature of this self-realising spirit ».

328.

« The ‘natural laws’ found by this means are necessarily of the nature of empiricism, colored by the bias or ideals of the investigator ».