Partie 3. Une analyse conceptuelle de la théorie veblenienne des comportements humains

Introduction à la troisième partie

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, l’une des principales composantes de la critique veblenienne des théories économiques concerne les hypothèses relatives aux comportements humains. À cet égard, Veblen s’attaque tout particulièrement aux postulats psychologiques hédonistes sur lesquels prendraient appui non seulement les théories classiques et néoclassiques, mais aussi le système marxien et, au moins pour partie, la pensée spencérienne. Cette représentation de l’homme est, selon lui, fondamentalement inadaptée à l’élaboration d’une économie « post-darwinienne ». D’une part, elle serait obsolète en regard des résultats auxquels sont parvenues les sciences « évolutionnistes » intéressées à l’analyse du comportement humain. D’autre part et surtout, elle serait incapable de fonder le développement d’une théorie de l’évolution institutionnelle satisfaisant aux caractéristiques de la « méthode génétique ».

C’est en réponse à ces deux limites de l’hédonisme que Veblen [1898a, p. 74] redéfinit l’homme comme « une structure cohérente de propensions et d’habitudes qui cherche à se réaliser et à se manifester dans le déploiement d’une activité » 376 . La troisième partie de notre travail sera tout entière consacrée à l’analyse de cette théorie des comportements humains. Notre interprétation procèdera en deux temps correspondant aux deux concepts fondamentaux autour desquels s’articule la représentation veblenienne de la nature humaine, c’est-à-dire l’instinct et l’habitude. Selon notre auteur, « l’action économique est téléologique, au sens où les hommes cherchent toujours et partout à faire quelque chose » 377 [1898a, p. 75]. Cette donnée du comportement humain, Veblen l’attribue avant tout à l’existence d’instincts dont on peut considérer, en première analyse, qu’ils sont des incitations internes à l’individu qui le poussent à satisfaire certains désirs généraux (chapitre 5). En outre, l’homme développe des habitudes d’action et de pensée qui permettent l’adaptation de ses mobiles instinctifs aux circonstances particulières de la situation. Bien que la formation d’habitudes soit toujours un processus individuel, celles-ci peuvent être couramment partagées par les membres d’une société. Elles acquièrent alors une nature institutionnelle. Enfin, les institutions ont, selon Veblen, la propriété de former un système, un « complexe culturel » comme il le désigne parfois, qui exerce, dans une société donnée, un « contrôle social » spécifique sur une période plus ou moins longue (chapitre 6).

Notes
376.

« A coherent structure of propensities and habits which seeks realisation and expression in an unfolding activity ».

377.

« Economic action is teleological, in the sense that men always and everywhere seek to do something ».