Chapitre 5. La composante instinctive du comportement humain

L’instinct est l’un des concepts clés de la théorie veblenienne des comportements humains. Outre le mot « instinct », Veblen utilise une multitude de termes différents pour désigner la composante instinctive du comportement de l’homme : « propensity », « proclivity », « bent », « sense », etc. 378 Comme l’a relevé Diggins [1999, p. 68], cette diversité lexicale est l’une des raisons qui ont conduit nombre de commentateurs à douter du caractère rigoureux de la conception veblenienne des instincts. Selon nous, elle traduit, au moins en partie, la volonté de notre auteur de ne pas enfermer son concept dans une définition trop rigide. En effet, son but n’est pas à proprement parler de développer une théorie de l’instinct humain, mais d’utiliser celui-ci comme un concept opératoire aux fins de son propre projet scientifique. Cette démarche transparaît à deux niveaux. D’une part, Veblen tire parti des théories psychologiques, biologiques et anthropologiques de l’instinct, qui lui sont contemporaines, pour autant qu’elles puissent contribuer à l’élaboration d’une économie « évolutionniste ». Il en résulte une approche de l’instinct à niveaux multiples, laquelle exclut toute forme de réductionnisme (section 1). D’autre part, si Veblen admet l’existence d’un grand nombre d’instincts, il ne retient dans sa propre analyse que ceux qui lui semblent avoir joué un rôle de premier plan dans l’évolution socio-économique de l’humanité (section 2).

Notes
378.

Le vocable « instinct » n’apparaît pas dans l’essai fondateur du projet scientifique veblenien, qu’est « Why Is Economics not an Evolutionary Science ? », Veblen [1898a, pp. 74, 79] lui préférant le terme « propensity ». Sauf erreur de notre part, Veblen y recourt pour la première fois dans son article immédiatement postérieur « The Instinct of Workmanship and the Irksomeness of Labor » [1898b].