Le concept d’instinct est sans doute l’un de ceux qui ont suscité le plus de débats et de critiques dans la littérature relative à la pensée veblenienne 379 . De fait, certaines affirmations de notre auteur peuvent sembler incohérentes dès lors qu’elles sont considérées comme des définitions exhaustives. En revanche, les contradictions se dissipent, si l’on admet que Veblen n’a jamais donné une telle caractérisation de l’instinct. Comme il l’affirme clairement dans son chapitre introductif à The Instinct of Workmanship and the State of the Industrial Arts, « notre intention présente n’est, bien évidemment, pas d’établir ou de prescrire une définition générale de ‘l’instinct’ » 380 [1914, p. 4]. Celui-ci apparaît alors comme un concept complexe, susceptible d’être appréhendé à des niveaux différents qui, quoique cohérents entre eux, sont irréductibles les uns aux autres. Nous verrons, tout d’abord, comment Veblen envisage l’instinct d’un point de vue psychologique (1.1.). Nous examinerons ensuite son approche biologique de l’instinct et, plus particulièrement, les thèses « racialistes » qu’il développe dans cette perspective. Nous soutiendrons que non seulement celles-ci ne versent jamais dans le racisme, mais qu’elles constituent, bien qu’implicitement, une critique des thèses eugéniques en vigueur à l’époque (1.2.). Enfin, nous préciserons l’influence que l’environnement culturel exerce, selon Veblen, sur les instincts de l’homme (1.3.). De façon générale, nous montrerons que cette approche à niveaux multiples se justifie par l’objet même du projet scientifique veblenien.
Tilman [1996, p. 75] et Edgell [2001, p. 87] en donnent un aperçu.
« It is, of course, not hereby intended to set up or to prescribe a definition of ‘instinct’ at large ».