2.1.1. Discussion critique des traductions françaises d’« idle curiosity »

Comme nombre de concepts vebleniens, celui d’« idle curiosity » pose des problèmes de traduction. La locution « curiosité oisive » utilisée par Émile James dans sa traduction de l’ouvrage de Paul T. Homan [1933] et reprise par Annie Vinokur [1968, p. 57] et Philippe Broda [1995, p. 189] nous semble mal choisie pour désigner ce que Veblen appelle « idle curiosity ». D’une part, l’expression même de « curiosité oisive » est obscure. D’autre part, sa proximité avec les termes « classe de loisir » ou « classe oisive » est mal venue. En effet, les fonctions sociales que Veblen [1899a, p. 40] associe à cette classe, c’est-à-dire « le gouvernement, la guerre, les sports et les observances religieuses », ont beaucoup plus à voir avec la connaissance pragmatique (cf. supra chap. 1, 4.3.) et les instincts de rivalité (cf. infra 2.4.2. dans ce chapitre) qu’avec la notion d’« idle curiosity ». Par ailleurs, le vocable retenu par Jean-Jacques Gislain [1999, p. 52 ; 2000, p. 87], à savoir « curiosité gratuite », pêche par la connotation péjorative que peut véhiculer le terme « gratuit », laquelle est absente de la signification que Veblen donne à l’expression « idle curiosity ». La traduction de Gaëtan Pirou [1946, p. 59] correspond bien, quant à elle, au sens du concept veblenien, mais elle est déjà, de par sa longueur, une définition : « le désir d’acquérir des connaissances pour le plaisir de savoir et non pour utiliser ces connaissances à des fins pratiques ». En définitive, le meilleure traduction nous semble être celle retenue par Véronique Dutraive [1993a, p. 53] et Jérôme Maucourant [1994, p. 170], c’est-à-dire « la curiosité désintéressée ». C’est à elle que nous nous sommes rangé 418 .

Notes
418.

Le fait qu’un auteur anglo-saxon, Norman Kaplan [1958] utilise l’expression « disinterested curiosity » comme synonyme de « idle curiosity » nous a conforté dans ce choix.