2.1.2. Les origines incertaines du concept

Il est difficile d’établir les origines du concept de « curiosité désintéressée ». Lorsque Veblen [1914, p. 85] le présente dans The Instinct of Workmanship, il affirme que « sa présence dans la nature humaine est généralement admise parmi les psychologues » et se réfère, en note, à James et McDougall. Selon Murray G. Murphey [1990, p. xvii-xviii], McDougall a effectivement développé un concept de curiosité instinctive extrêmement proche de celui de Veblen. Cependant, notre auteur l’a introduit en 1906 [1906a], soit deux avant la parution de An Introduction to Social Psychology. McDougall n’est donc pas à l’origine de l’instinct veblenien de curiosité désintéressée. On peut également douter que ce soit le cas de James. En effet, Veblen [1906a, pp. 5-7] considère l’idée de curiosité désintéressée comme contraire à la thèse défendue par « l’école ‘pragmatique’ des psychologues », selon laquelle « toute connaissance est ‘fonctionnelle’, c’est-à-dire qu’elle est de nature utilitaire ». En admettant qu’il inclut James dans « l’école ‘pragmatique’ des psychologues », cette affirmation semble contradictoire avec la citation précédemment mentionnée [1914, p. 85]. Une note de The Higher Learning in America permet de les rendre cohérentes. En effet, Veblen [1918c, p. 4n.] affirme que « cette proposition [i.e. ‘les hommes sont mus, de façon innée, par une curiosité désintéressée’] était implicitement déniée dans les hypothèses rudimentaires des pionniers du pragmatisme ; dans leurs positions plus récentes et plus avisées, les tenants du pragmatisme se sont réconciliées avec elle » 419 . Les psychologues de « l’école ‘pragmatique’ » auraient donc admis l’existence d’un instinct de curiosité désintéressée entre 1906 et 1914, c’est-à-dire entre le moment où Veblen l’a introduit et la parution de The Instinct of Workmanship [1914].

Notes
419.

« In the crude surmises of the pioneers in pragmatism this proposition was implicitly denied ; in their later and more advisedly formulated positions the expositors of pragmatism have made their peace with it ».