2.1.3. L’instinct de curiosité désintéressée et l’intérêt général de la société

Nous avons déjà longuement discuté des différentes manifestations prises par l’instinct de curiosité désintéressée dans l’histoire de l’humanité telle que Veblen la conçoit (cf. supra chap. 2, section 1). Il n’est donc pas utile d’y revenir, si ce n’est pour souligner le fait que cet instinct n’est pas nécessairement au service de l’intérêt général. Dans la mesure où elle tend à acquérir une nature institutionnelle, la connaissance désintéressée produite dans une société donnée est soumise à la discipline du « complexe culturel » de cette société. Dès lors, son impact sur le « bien commun » est étroitement dépendant des institutions en vigueur. C’est ainsi que la science moderne, c’est-à-dire la forme prise par la connaissance désintéressée dans les sociétés contemporaines industrialisées, accroît la « rationalité sociale » [Tilman, 1999] et partant l’intérêt général (cf. supra chap. 2, 2.3.3.). A contrario, les systèmes de représentation du monde élaborés sous l’impulsion de l’instinct de curiosité désintéressée ont pris, durant « l’ère barbare », de forts accents pragmatiques. Loin de soutenir le « bien commun », la connaissance désintéressée sanctionnait alors, en même temps qu’elle les reflétait, les rapports de coercition qui structuraient la société. Il y a là, pensons-nous, motif à remettre en cause les interprétations dichotomiques mentionnées précédemment, qui situent inconditionnellement la curiosité désintéressée parmi les instincts servant l’intérêt général de la société 420 .

Notes
420.

Nous reviendrons sur ce point lorsque nous discuterons les conceptions normatives de Veblen (cf. infra chap. 8, 1.2.2.).