2.4.2. Les multiples manifestations des instincts de rivalité

Si la conception veblenienne de la nature des instincts de rivalité a sensiblement évolué entre The Theory of the Leisure Class et The Instinct of Workmanship, la représentation que notre auteur se faisait de leurs manifestations est demeurée largement identique. Selon lui, l’affirmation de ces instincts aurait historiquement coïncidé avec l’apparition de la propriété privée, toutes deux marquant l’entrée des sociétés dans une période que Veblen désigne sous le terme d’« ère barbare » ou de « stade prédateur de la culture » [1899a, pp. 224-225 ; 1914, p. 160].

Les instincts de rivalité ont, d’après Veblen [1899a ; 1914], trouvé à s’exprimer de multiples façons, au cours de l’histoire : à travers l’agression physique, la guerre et l’esclavagisme, à travers le sens de l’honneur, le patriotisme et le sport, mais aussi à travers « la consommation ostentatoire », la « course à l’estime, à la comparaison dégradante » 438 et l’accumulation pécuniaire qui sous-tend la logique des affaires. Enfin, ces instincts sont aussi à l’origine de la connaissance pragmatique, telle que nous l’avons analysée précédemment (cf. supra chap. 1, section 4).

De façon générale, la caractéristique commune à tous les instincts de rivalité est de pousser l’homme à satisfaire son intérêt personnel aux dépens d’autres individus. Ils s’opposent, par là même, à l’intérêt général de la société dans son ensemble. Leur finalité est donc contraire à celle des instincts de sympathie sociale et du travail bien fait.

Notes
438.

Veblen [1899a, p. 25] définit « une comparaison dégradante [invidious comparison] » comme « un procédé d’estimation des personnes sous le rapport de la valeur » et notamment sous le rapport de la valeur pécuniaire ; la « comparaison dégradante » relevant dans ce cas de « la rivalité [ou émulation] pécuniaire ».