2.2.1. Les processus d’auto-renforcement institutionnel

Si l’on combine le matérialisme veblenien, tel que nous l’avons interprété précédemment (cf. supra 1.2. dans ce chapitre), avec les effets du « complexe culturel » que nous venons d’exposer, le processus de formation et de croissance des institutions peut être résumé, de façon schématique, comme une succession de deux phases. D’une part, les institutions sont le produit des habitudes d’action puis de pensée que les individus développent au contact de leur environnement matériel et technique, sous l’impulsion de leurs instincts. La généralisation et donc l’institutionnalisation des habitudes de pensée ainsi formées sont facilitées par la propriété qu’elles ont d’être transmissibles. D’autre part, les institutions, une fois établies, se structurent en un « complexe culturel » qui exerce un « contrôle social » sur la formation des habitudes individuelles, sur l’expression des propensions instinctives de la population et sur la perpétuation des nouvelles institutions qui apparaissent dans la société. Or, les institutions entérinées par le « complexe culturel » vont, par définition, être intégrées dans celui-ci, si bien que la chaîne de causalité est bouclée. Dès lors, va s’enclencher, dans la société, un processus de « feed-back » positif entre les instincts, les habitudes, les institutions et le « complexe culturel ». Nous avons représenté ce processus d’auto-renforcement dans le schéma suivant 480  :

Schéma 6 : Processus veblenien d’auto-renforcement institutionnel
Schéma 6 : Processus veblenien d’auto-renforcement institutionnel

En résumé, le « complexe culturel » favorise les instincts, les habitudes et les institutions qui le soutiendront en retour, ce processus étant cumulatif. Cependant, rien ne permet d’affirmer a priori que le système institutionnel est homogène. Les institutions qui le composent relèvent communément de différentes « logiques institutionnelles ». Une « logique institutionnelle » peut être définie comme une orientation générale de pensée, dans laquelle s’inscrivent un certain nombre d’institutions cohérentes entre elles et conformes à cette orientation. Veblen [1914] se réfère ainsi à « la logique du travail bien fait [‘logic of workmanship’] » [pp. 54, 61], à « la logique du système des prix » [p. 190] ou « logique pécuniaire » [p. 226], à « la logique du processus de la machine » [pp. 241, 310, 318, 322, 338] ou « logique qui s’en tient aux faits [‘matter-of-fact logic’] »[p. 306], etc. Par conséquent, ce n’est pas le « complexe culturel », en tant qu’il serait un ensemble homogène, qui intervient dans le processus de « feed-back » figuré dans le schéma 6, mais les groupes d’institutions cohérentes entre elles, qui le constituent. Il s’agit donc, à proprement parler, d’un processus d’auto-renforcement des différentes « logiques institutionnelles » représentées dans le « complexe culturel ». Cette idée ne remet pas en cause la définition que nous avons donnée précédemment (supra 2.1.1. dans ce chapitre) du « complexe culturel » et notamment le fait qu’il constitue une seule et même entité. En effet, comme nous allons le voir à présent, la dynamique d’une « logique institutionnelle » donnée a des conséquences sur toutes les autres « logiques institutionnelles » et donc sur la structure d’ensemble du « schème culturel ».

Notes
480.

Geoffrey M. Hodgson [1993a, p. 131] lui aussi interprète, pour partie, l’analyse veblenienne de l’évolution institutionnelle en termes de « feed-back » positif. Il souligne plus particulièrement « l’aspect cumulatif, auto-renforçant, des comportements routiniers [des individus] et des institutions sociales ».