Chapitre 7. L’analyse veblenienne du changement institutionnel

Expliquer le changement institutionnel est l’étape finale et cruciale de la théorie de l’évolution des institutions qui constitue, pour Veblen, l’objet même d’une économie « post-darwinienne ». D’après Dorfman [1934, p. 324], « après avoir cessé d’écrire, Veblen déclara que The Instinct of Workmanship était son seul livre important ». On ne s’étonnera guère de ce jugement dans la mesure où cet ouvrage contient, sans nul doute, la forme la plus aboutie et la plus systématique de sa théorie de l’évolution institutionnelle. Le changement y est essentiellement appréhendé dans une perspective de longue période. Il s’agit, avant tout, d’expliquer comment un « complexe culturel » cohérent et stable 487 sur une période pluriséculaire en vient à être remis en cause, puis supplanté par l’affirmation d’une nouvelle « logique institutionnelle ».

Bien que l’évolution des conditions matérielles et techniques joue un rôle important dans ce processus, celui-ci n’est pas réductible à un déterminisme technologique exogène. Contrairement à ce qu’ont prétendu nombre de commentateurs, Veblen a développé une analyse endogène du changement institutionnel, dans laquelle celui-ci apparaît comme un effet émergent des interactions dynamiques entre les instincts, les institutions et l’environnement matériel et technique (section 1).

Cette conception non téléologique du changement n’est pas incompatible avec le fait qu’une action délibérée, qu’elle soit individuelle ou collective, influe sur le cours de l’évolution institutionnelle d’une société donnée. Cependant, l’analyse que Veblen a effectivement livrée du rôle des actions délibérées dans le processus de changement institutionnel est, au moins en partie, insatisfaisante (section 2).

Notes
487.

Les notions de cohérence et de stabilité sont employées conformément au sens que nous leur avons donné supra chap. 6, 2.2.