Section 2. De la pensée veblenienne à l’institutionnalisme contemporain

On ne saurait évaluer la nature de l’héritage veblenien dans la pensée institutionnaliste contemporaine, sans prendre en compte l’influence déterminante qu’a exercée Clarence E. Ayres sur l’orientation de l’institutionnalisme ces soixante dernières années. Notre ambition n’est pas de livrer une analyse détaillée de l’œuvre d’Ayres 567 , mais de montrer qu’en réinterprétant la pensée de Veblen selon ses propres conceptions, il a engagé le mouvement institutionnaliste dans une voie très différente du projet veblenien originel. De fait, Ayres opère une double rupture avec Veblen (2.1.). D’une part, il remet en cause la distinction clairement affirmée par notre auteur entre les jugements de fait et les jugements de valeur des scientifiques. D’autre part, en donnant un contenu essentiellement normatif aux concepts de « technologie » et d’« institution », Ayres rompt avec l’approche veblenienne du progrès socio-économique et, surtout, s’interdit largement de développer une théorie positive de l’évolution institutionnelle. Si la conception ayresienne des institutions a été largement remise en cause par ses « disciples », son point de vue selon lequel la finalité de la science serait d’être normative demeure dominant dans l’institutionnalisme contemporain (2.2.). La prééminence que les économistes institutionnalistes donnent fréquemment à leurs jugements de valeur sur l’analyse scientifique, c’est-à-dire autant que possible objective des faits, entrave la poursuite du projet veblenien d’élaboration d’une science économique « évolutionniste ».

Notes
567.

Pour un examen plus fouillé des thèses ayresiennes, on pourra se reporter à Breit [1973], Walker [1978 ; 1979], Rutherford [1981 ; 1994, pp. 137-144], McFarland [1986], Stanfield & Stanfield [2000] et Hodgson [2004a, pp. 345-378].