Sous section 2. L’émergence d’un service public de l’information

Le régime juridique de la presse et donc de l’information, a beaucoup évolué. L’affirmation de la liberté, même si elle est contrôlée, ou plutôt régulée, a permis de faire naître une nouvelle conception de l’information : le droit ne s’intéressera pas seulement aux diffuseurs de l’information, mais surtout aux récepteurs ; lecteur, téléspectateur ou auditeur. J. Robert et J. Duffar mettent en relief trois doctrines de l’information, la conception autoritaire 335 , libérale 336 et solidariste. La dernière doctrine relevée pressentant le droit à l’information 337 .

Une information libérale, soustraite à toute influence étatique peut paraître idéale, mais une information complètement libre est utopique. Si elle n’est pas soumise à la tutelle du pouvoir étatique, elle est soumise à la tutelle du pouvoir économique, avec notamment le poids des publicitaires, et les impératifs d’audience. La conception libérale n’est pas exempte de paradoxe : elle reconnaît que le pluralisme est le meilleur rempart contre la propagande, mais le pluralisme est assuré par une législation, régulé par des organes de contrôle indirectement soumis aux pouvoirs publics. Cette conception se saurait être satisfaisante dans une société démocratique dans la mesure où elle ne prend pas en considération la réalité de l’indépendance de la presse, ni le destinataire de l’information. On lui préféra alors la doctrine solidariste, qui met en relief un certain service public de l’information, nourri par une même source d’information pour les journalistes, qu’ils appartiennent à la communication audiovisuelle ou à la presse écrite : l’Agence France Presse.

Notes
335.

Dans la conception autoritaire de l’information, la presse est considérée comme un instrument du pouvoir, entièrement soumise aux dirigeants. Toute liberté serait intempestive, donc interdite parce que véhiculant l’erreur. L’information se transforme en propagande, soit au profit du chef, soit au bénéfice du parti (unique), soit au service de l’éducation des masses. L’information sert, dans ce dernier cas, à forger une conscience nationale dans le but de stimuler la promotion des hommes. Il existe des techniques spécifiques de mise en œuvre de cette doctrine qui porteront sur le statut des entreprises de presse, sur le contexte de l’information et sur les relations avec l’étranger. Juridiquement, en ce qui concerne le statut, tout entreprise de presse est soumise à autorisation, avec le risque permanent du retrait de l’autorisation, de la suspension, de l’interdiction ou de la fermeture. Le pouvoir n’hésite pas à placer à la tête de ces entreprises des hommes sûrs, des hommes lui appartenant. Notons que dans les systèmes marxistes et dictatoriaux, les organes de presse appartiennent au parti. Le contenu de l’information est alors contrôlé, voire censuré. Sa diffusion est le monopole d’une agence de presse publique et unique. Les journalistes sont invités à l’autocensure. Il s’agit la plupart du temps d’une information obligatoire faite de communiqués, instructions, ou discours des personnalités officielles du parti. Dès lors, la presse étrangère ne sera pas diffusée dans le pays, les émissions radiophoniques étrangères risquent d’être brouillées. Une telle conception paraît difficile à envisager dans une société démocratique, et il est difficile aujourd’hui d’exercer une censure totale sur l’information du fait du développement d’Internet. La technologie garde souvent une longueur d’avance sur les archaïsmes d’une telle conception.

336.

Les libéraux préfèrent le terme de liberté à celui de droit qui sous-entend une intervention de l’Etat. Quelques courants libertaires entendent aller plus loin et prolonger la pensée libérale classique en s’appuyant sur la philosophie de Locke. C’est une philosophie éthique qui pose le problème des rapports entre la liberté et le pouvoir et estime nécessaire l’absence d’ingérence de l’Etat dans la sphère privée, même si les médias doivent être considérés comme un pouvoir. Elle se caractérise par une défense rigoureuse de la sphère privée. Elle doit rester autonome devant l’autorité publique. Il s’agit de consacrer l’Etat minimal, hostile à toute réglementation. L’entreprise de presse doit jouir de la liberté de commerce et d’industrie, l’information constituant une libre marchandise. L’accès à la profession de journaliste, transmetteur essentiel de l’information, doit être libre, sans surveillance du pouvoir politique. Tout journaliste doit pouvoir tenir secrètes ses sources d’information et bénéficier de la clause de conscience en cas de changement de propriétaire de son journal. Le contenu de l’information doit être laissé à la discrétion de ceux qui la diffusent et la commentent, la seule réglementation admise étant celle qui a pour but d’assurer la protection des droits d’autrui : « toute loi enlève quelques libertés aux uns mais elle confère du même coup quelques libertés à d’autres et à tous ». (R. ARON, Essai sur les libertés, Paris, le seuil, p. 252). Il est toujours difficile de trouver la frontière entre ce qu’il est permis de dire ou de publier et ce qui doit être interdit. Le caractère plus ou moins libéral d’un régime s’appréciera aux types d’infractions de presse définies, au nombre de poursuites ou saisies et par rapport à la plus ou moins grande rigueur des sanctions. F. Balle, Médias et Sociétés, op.cit., la doctrine libérale de l’information, p. 252) expose aussi sa conception de la doctrine libérale de l’information. Héritière de la philosophie des Lumières, la doctrine libérale de l’information exprime, en ultime analyse, le refus catégorique du principe d’autorité. Refusant de fonder la vérité en Dieu, dans la raison universelle ou dans n’importe quel autre principe transcendant, la doctrine libérale se contente aujourd’hui de postuler que nul n’est censé avoir le monopole de la vérité. Ou, si l’on préfère, elle se refuse à admettre que la vérité, entendue comme étant la conformité de la pensée exprimée à la réalité observée, ne puisse jamais être le privilège d’un seul homme ou d’une seule classe. En ce sens, la doctrine libérale s’oppose à toute tentative pour affirmer la vérité par voie d’autorité. La doctrine libérale qui professe le pluralisme s’inscrit sur une toile de fond qui est celle du scepticisme. Ce dont elle est corrélativement convaincue, c’est de la dégradation inéluctable de l’information en propagande, dès lors que la concurrence glisse au monopole. La doctrine libérale s’inscrit également sur une toile de fond qui est celle de l’optimisme. Elle suppose en effet que, grâce au choix de la clientèle sur le marché, la bonne information finira par chasser la mauvaise, et que l’information la plus vraie finira par triompher, par le jeu de la concurrence, de l’information qui est entachée d’erreurs. Ou plus précisément, la doctrine libérale postule que, dans l’incertitude sceptique, les préférences des publics, telles qu’elles sont révélées sur le marché, sont les seules qui méritent d’être respectées. C’est un débat que les philosophes connaissent bien. Le succès des journaux ne mesure guère la vérité de leurs affirmations. Il n’y a aucun lien logique entre la vérité d’une affirmation et son succès ou son échec.

337.

J. Robert, J. Duffar,Droits de l’Homme et Libertés Fondamentales, Montchrestien, Paris, 1999, p. 664.