Sous section 1. L’impératif ou le devoir moral

Selon le Larousse 2004, un impératif « s’impose comme une nécessité absolue ». Le dictionnaire donne aussi une définition philosophique 417 . L’impératif peut être catégorique 418 , à savoir un « commandement moral inconditionné qui est à lui-même sa propre fin ». Kant l’oppose à l’impératif hypothétique, qui est un « commandement moral conditionné en vue d’une fin ». Selon Kant, « une volonté parfaitement bonne serait donc tout aussi bien sous l’empire de lois objectives (lois du bien) ; mais elle ne pourrait pour cela être représentée comme contrainte à des actions conformes à la loi, parce que d’elle-même, selon sa constitution subjective, elle ne peut être déterminée que par la représentation du bien. Voilà pourquoi il n’y a pas d’impératif valable pour la volonté divine et en général pour une volonté sainte ; le verbe devoir est un terme qui n’est pas ici à sa place, parce que déjà de lui-même le vouloir est nécessairement en accord avec la loi. Voilà pourquoi les impératifs sont seulement des formules qui expriment le rapport de lois objectives du vouloir en général à l’imperfection subjective de la volonté de tel ou tel être raisonnable, par exemple, de la volonté humaine ». Kant donne une définition de l’impératif catégorique :

‘« Il est enfin un certain impératif qui commande immédiatement une certaine conduite sans jamais mettre à son fondement, à titre de condition, quelque autre fin que cette conduite permettrait d’atteindre. Cet impératif est catégorique. Il ne concerne pas la matière de l’action ni ce qui résulte d’elle, mais la forme et le principe dont elle-même découle, et ce qu’il y a d’essentiellement bon en elle consiste dans la disposition, quel que soit le succès que l’action puisse connaître. Cet impératif peut être appelé l’impératif de la moralité » 419 . ’

Ce passage se rapporte essentiellement à la notion de devoir, et distingue celui-ci, dans sa signification morale, d’autres formes d’obligation que nous pouvons avoir. Il se réfère aussi, indirectement, à la nature de la volonté, à laquelle le devoir s’adresse sur le mode de l’impératif, c’est-à-dire du commandement. La volonté de l’homme ne fait pas toujours ce que le devoir lui prescrit, parce qu’elle est tributaire des mobiles de sa nature sensible.

L’impératif est un commandement qui s’adresse à un être dont la volonté n’est pas seulement déterminée par la raison, mais aussi par des mobiles sensibles. Il peut prescrire la règle de l’action qui est nécessaire en vue d’une fin simplement possible, ou encore ce qu’il serait bon de faire pour être heureux : dans ces deux cas, il est hypothétique, c’est-à-dire conditionné. L’impératif catégorique dit ce qu’on a le devoir de faire, de façon inconditionnelle, et c’est seulement dans ce cas que l’on a affaire à une loi, universellement valable. Cette loi est alors la loi morale.

Le propre du devoir moral, sous la forme de l’impératif catégorique, c’est qu’il est inconditionnel, sans restriction. La matière de l’action, c’est ce qu’il va falloir faire, le contenu de l’action à accomplir. C’est pourquoi l’homme doit se soumettre volontairement à la moralité, l’impératif catégorique, et à la légalité, l’impératif hypothétique. L’impératif hypothétique, la légalité, concerne les actions qui sont accomplies sous une pression extérieure, une peine ou un plaisir. L’impératif catégorique, la moralité, concerne les actions accomplies par respect d’une règle qu’il faut respecter parce qu’il le faut.

L’honnêteté de l’information réunit ces deux principes : la morale du journaliste par nature, comme loi universelle, dans le respect du principe constitutionnellement reconnu. Les lois morales s’imposent à l’Etat comme aux individus, par la réalisation des droits naturels dans le droit positif. Les journalistes, en refusant l’établissement d’une règle déontologique légale, peuvent se réclamer de l’impératif catégorique, inhérent à tout être humain, reflet de la loi universelle, de la morale.

La loi morale est donc l’impératif catégorique. Toute la morale kantienne est une éthique normative. L’impératif catégorique est le principe suprême de la moralité chez Kant. Cependant, il est de second ordre, il permet de distinguer les actions correctes des non-correctes ; mais il ne porte pas directement sur les actions, il porte sur des règles d’actions (quelles règles le citoyen doit suivre). En résumé, il porte directement sur les règles et indirectement sur les actions. Le principe d’honnêteté répond à cette définition, si le journaliste suit les règles de moralité, la répercussion se fera directement sur l’action d’informer ou de recevoir l’information.

La position de Kant est déontologique. Si on reconnaît à l’honnêteté de l’information un caractère universel, si l’on se demande si une action est correcte ou non, c’est-à-dire conforme ou non à la règle universelle, il y a un rapport de l’action à la règle qui fait que l’action est correcte ou ne l’est pas ; ce ne sont pas seulement les conséquences de l’action qui comptent mais surtout le fait que l’action est conforme à une règle, à un devoir ; celui d’informer le public de façon honnête. La bonne action respecte l’impératif catégorique ce qui lui confère une valeur morale. C’est un aspect typiquement déontologique. Kant s’oppose à l’idée que l’on puisse accorder de la valeur morale à une action sans que cette valeur qu’elle aurait soit fondée sur le respect de l’impératif catégorique. Sa position s’oppose à l’eudémonisme 420 .

D’un point de vue philosophique, l’impératif d’honnêteté trouve toute sa justification. Pour le Conseil constitutionnel, l’honnêteté de l’information est un impératif constitutionnel. Nous n’irons pas jusqu’à affirmer que le juge s’est inspiré des théories de Kant pour dégager cette notion d’impératif. Cependant, a chaque fois qu’il a utilisé la notion, le principe en cause répondait à un souci d’éthique, de morale. On retrouve bien sûr le caractère moral dans la qualité d’honnêteté, mais la notion de nécessité absolue, non soumise à conditions, nous révèle l’importance de ce principe qui doit être élevé au même rang de protection que les autres règles constitutionnelles.

Notes
417.

Voir par exemple J-C. BILLIER, A. MARYIOLI, Histoire de la philosophie du droit, Paris, Armand Colin, 2001, 323 p.

418.

Voir par exemple J-L NANCY, L’impératif catégorique, Paris, Flammarion, 1983, 160 p.

419.

KANT, Fondements de la Métaphysique des mœurs, 1785, Delbos, Delagrave, 1966, p. 123 et suivantes.

420.

L’eudémonisme est une théorie qui tente de fonder les valeurs morales des actions sur la recherche des conséquences de celles-ci : le bonheur.