Sous section 2. L’impératif selon le Conseil constitutionnel

La notion d’impératif est donc unique en son genre, d’un point de vue strictement technique. Le Conseil constitutionnel a à sa disposition des principes à valeur constitutionnelle, des objectifs de valeur constitutionnelle, des principes particulièrement nécessaires à notre temps, des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République… Les ressources sont nombreuses, faisant parfois l’objet de polémiques. L’examen des lois sur la presse a donc été l’occasion de dégager une nouvelle notion : l’impératif. Doit-on la considérer comme une catégorie à part entière, une nouvelle catégorie de principes constitutionnels ? Si oui, quelle place, quelle valeur lui accorder ? Devant ces interrogations, nous avons entrepris de vérifier ce qu’en pense la doctrine. Or, après une recherche minutieuse, il se trouve que personne ne s’est vraiment interrogé sur la valeur de cette notion. En revanche, le Conseil constitutionnel a utilisé quelquefois cette appellation d’impératif. Au delà de l’impératif d’honnêteté de l’information, apparaît aussi l’impératif de protection de la santé publique, l’impératif de sincérité.

Dans sa décision du 6 décembre 1990, à propos de la loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux : « Considérant que les sénateurs auteurs de la première saisine mettent en cause la justification de la loi en se plaçant à un triple point de vue ; qu’il est soutenu, tout d’abord, que la lutte contre l’abstentionnisme électoral n’est pas un principe ou un objectif de valeur constitutionnelle ; que, de plus, les moyens retenus dans le cas présent par la loi pour lutter contre l’abstentionnisme ne procèdent d’aucun impératif constitutionnel ; qu’enfin, le procédé même du regroupement des élections régionales et cantonales n’impose pas inévitablement l’allongement d’un mandat en cours » 421 . Dans cette décision, il ne reconnaît aucun impératif précis, il se refuse à consacrer la lutte contre l’abstentionnisme électoral comme bénéficiant d’une valeur constitutionnelle, mais en revanche, il accole le terme constitutionnel à celui d’impératif, démontrant la valeur constitutionnelle de la catégorie des impératifs.

Dans sa décision du 8 janvier 1991 concernant la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, il considère « que les restrictions apportées par le législateur à la propagande ou à la publicité en faveur des boissons alcooliques ont pour objectif d’éviter un excès de consommation d’alcool, notamment chez les jeunes ; que de telles restrictions reposent sur un impératif de protection de la santé publique, principe de valeur constitutionnelle » 422 . Il consacre l’impératif de protection de santé publique, comme il l’avait fait pour l’honnêteté de l’information. De plus, il affirme la valeur constitutionnelle de ce principe. La protection de la santé publique est aussi considérée comme un objectif de valeur constitutionnelle 423 , dès lors, les deux notions semblent avoir des effets et une définition similaires.

Dans sa décision du 25 juillet 2001 concernant la loi organique relative aux lois de finances, le juge constitutionnel révèle l’impératif de sincérité :

‘« Considérant que si, par suite des circonstances, tout ou partie d’un document soumis à l’obligation de distribution susmentionnée venait à être mis à la disposition des parlementaires après la date prévue, les dispositions de l’article 39 ne sauraient être comprises comme faisant obstacle à l’examen du projet de loi de finances ; que la conformité de la loi de finances à la Constitution serait alors appréciée au regard tant des exigences de la continuité de la vie nationale que de l’impératif de sincérité qui s’attache à l’examen de la loi de finances pendant toute la durée de celui-ci » 424 . ’

Dans la décision du 26 juin 2003 à propos de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, le Conseil constitutionnel considère que : « aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n’impose de confier à des personnes distinctes la conception, la réalisation, la transformation, l’exploitation et le financement d’équipements publics, ou la gestion et le financement de services ; qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’interdit non plus qu’en cas d’allotissement, les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l’objet d’un jugement commun en vue de déterminer l’offre la plus satisfaisante du point de vue de son équilibre global ; que le recours au crédit-bail ou à l’option d’achat anticipé pour pré financer un ouvrage public ne se heurte, dans son principe, à aucun impératif constitutionnel » 425 . Il est dommage que le Conseil constitutionnel ne profite pas de cette décision pour clarifier cette notion d’impératif, mais une fois de plus, il montre qu’il la considère comme une catégorie à part entière.

Nous terminerons cet énoncé par l’impératif qui nous intéresse plus particulièrement, à savoir l’impératif d’honnêteté de l’information, tel qu’il a été rappelé dans la dernière décision du Conseil constitutionnel relative à la presse :

‘« Considérant que le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuels n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur privé que dans celui du secteur public, de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractère différent dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ; qu’en définitive, l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 précité soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché » 426 . ’

Dans cette catégorie de principes constitutionnels que constituent les impératifs, apparaissent donc les principes d’honnêteté, de protection de santé publique et de sincérité. Alors qu’un objectif de valeur constitutionnelle est plutôt considéré comme un but à atteindre, une directive à prendre en considération, l’impératif serait plutôt une obligation à respecter. Certes, ces impératifs ne se rattachent à aucun texte constitutionnel précis, mais nous avons déjà pu observer que ce n’est pas un critère déterminant pour reconnaître la valeur constitutionnelle ou non d’un principe. Devant l’absence de commentaires relatifs à cette notion, nous prenons le parti, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de considérer qu’il s’agit d’une catégorie de principes constitutionnels au même titre que celles précitées. Les impératifs doivent être conciliés avec d’autres libertés, principes ou droits, la communication par exemple pour l’honnêteté, tout comme les objectifs de valeur constitutionnelle ou même les PFRLR. Les principes reconnus comme des impératifs relèvent, il est vrai, surtout d’une valeur morale, plutôt que juridique. Mais l’éthique et le droit ont toujours été entremêlés, d’autant plus lorsque les libertés prennent en considération le citoyen, qu’il soit contribuable, malade ou consommateur d’information. F. Luchaire a eu l’occasion de préciser à propos d’un article sur la sécurité juridique que les impératifs constitutionnels « connaissent aussi des limites, on dira de la sécurité juridique, comme de la plupart des impératifs, qu’elle doit rendre des comptes à l’intérêt général » 427 . On peut donc aller jusqu’à dire que la notion d’impératif sert à protéger le citoyen dans une société à la recherche d’un certain degré d’éthique, avec comme objectif la satisfaction de l’intérêt général.

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Le Conseil constitutionnel a fait découler l’impératif d’honnêteté de la liberté de communication. Il lie cet impératif, tout comme l’objectif constitutionnel de pluralisme, aux lecteurs ou téléspectateurs qui sont les destinataires essentiels de l’information. Il est vrai qu’il ne consacre pas explicitement l’expression « droit à l’information » mais sa formulation et la conjoncture relative à l’information ne laisse cependant subsister peu de doutes. En revanche, la formulation peu claire du Conseil constitutionnel ne permet pas de savoir s’il faut distinguer le droit à l’information d’une façon autonome, ou le droit à une information pluraliste et honnête. Le juge judiciaire apportera une réponse, en associant dans la plupart de ses décisions le droit à l’information et l’honnêteté de l’information 428 . Ces deux principes constitutionnels, en rendant la liberté de communication effective, permettent aussi au citoyen de bénéficier de son droit à l’information. Mais l’affirmation constitutionnelle de l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme et de l’impératif d’honnêteté perd tout son sens si leur mise en œuvre ne respecte pas le droit à l’information du citoyen.

Notes
421.

DC n° 90-280 du 6 décembre 1990, Recueil p. 84.

422.

DC 8 janvier 1991, Recueil p. 11.

423.

DC n° 93-325 du 13 août 1993, Recueil p. 224.

424.

DC n° 2001-448 du 25 juillet 2001, Recueil p. 99.

425.

DC 26 juin 2003, Recueil p. 379.

426.

DC 27 juillet 2000, Recueil p. 121.

427.

F. Luchaire, « La sécurité juridique en droit constitutionnel français », Cahiers du Conseil constitutionnel 2001 n° 11.

428.

Voir partie 2.