Sous section 2. Pour l’actualité exceptionnelle

La loi du 1er août 2000 précitée sur la communication audiovisuelle concerne aussi les droits d’exclusivité sur des événements dits exceptionnels, les événements d’importance majeure dont la liste est précisée par un décret en Conseil d’Etat. Outre les événements sportifs, la loi vise des événements fédérateurs comme les funérailles nationales d’un chef d’Etat ou d’un membre d’une royauté, un mariage princier…

Dès 1991, le Conseil de l’Europe avait déjà adopté une recommandation 494 sur le droit aux extraits sur des événements majeurs faisant l’objet de droits d’exclusivité, dans un contexte transfrontière. Selon la recommandation, le droit du public à l’information ne doit pas être remis en cause par les droits d’exclusivité. Ceux-ci ne doivent pas priver une partie substantielle du public de suivre tel événement à la télévision. La réalisation et la diffusion d’extraits doivent donc être possibles pour assurer le droit du public à l’information.

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Entre libéralisme et interventionnisme de l’Etat, le pluralisme n’est pas toujours facile à mettre en œuvre et à respecter. Nous pouvons alors nous demander si le pouvoir économique est plus protecteur de la liberté de la presse que le pouvoir étatique démocratique. Une non-intervention de l’Etat génèrerait la suppression des aides, de textes anti-concentration, et n’empêcherait pas les connivences, censures et monopoles de fait. Mais dans le même sens, n’est-ce pas trop utopique de songer à un Etat suffisamment affranchi de son pouvoir pour tolérer et réglementer un autre pouvoir ? La presse ne doit évidemment pas être sous la tutelle idéologique de l’Etat. La loi du marché a complété la loi de l’Etat, sans qu’aucune des deux n’assure vraiment le respect du pluralisme. Les enjeux économiques et la loi du marché ne permettent pas de prendre en compte un souci de pluralisme ou l’expression de courants de pensées minoritaires. Ils n’empêchent ni la censure, ni les monopoles. En pratique, la libre concurrence n’exclut pas l’intervention de l’Etat qui sera obligé d’intervenir pour aider la presse mais aussi pour imposer des obligations de diffusion. L’entreprise d’information n’est pas vraiment indépendante puisqu’elle est obligée de vendre un produit à sa clientèle par l’intermédiaire de la publicité. C’est d’ailleurs cette dernière qui maintient le cap économique d’un journal et non le nombre de journaux vendus. Le journal subit la pression des annonceurs, l’entreprise d’information obéit à une logique d’entreprise classique. Elle n’a pas vraiment le choix si elle veut survivre. Ainsi, un éventuel veto des annonceurs est possible s’ils considèrent qu’ils sont mal traités dans le journal ; les contraintes économiques et l’intérêt public sont parfois inconciliables. L’industrialisation de la communication influence l’information. Reste à savoir dans quelle mesure l’intégration dans le système financier est susceptible d’avoir des effets sur l’information, sur sa liberté. Cette dépendance de la presse à l’égard de la publicité conditionne, à divers degrés, les lignes éditoriales. La libre concurrence n’empêche pas la multiplication de fusions conduisant à des oligopoles, comme par exemple l’absorption de Pathé par Vivendi, Canal Plus devenant par là même une chaîne perdue dans un grand groupe de communication à vocation internationale. Et pourtant, la plupart des groupes nationaux sont d’une taille et parfois d’une solidité très inférieure à celle des groupes européens comparables. Les fusions ont entraîné un affaiblissement du pluralisme au sein de la presse quotidienne nationale, en raison de la baisse du nombre de titres, mais aussi du déclin du lectorat 495 .

L’espace français est trop petit pour laisser la place à une réelle concurrence sur un même secteur, notamment au niveau local : le nombre de lecteurs est trop peu important. Le journal Ouest Franceest le seul quotidien d’information générale pour une grande partie de la France de l’Ouest ; La Croixest l’unique quotidien catholique français d’information générale. Au regard des seuls critères économiques, l’un et l’autre sont pareillement en situation de monopole. Ce qui les différencie pourtant, est essentiel : l’un veut s’adresser à tous, à l’intérieur d’une aire géographique déterminée ; l’autre entend d’abord réunir tous ses sympathisants, à l’intérieur d’une aire géographique plus vaste mais circonscrite, la France.

Le monopole peut aussi être une stratégie de partage du marché. Par exemple, Le Monde et France-Soirsont très différents ainsi que leurs publics respectifs, bien qu’ils présentent à peu près la même diversité de rubriques chaque jour. R.T.L. et Europe N° 1, après avoir longtemps cherché à s’attacher chacun une clientèle bien particulière, rivalisent aujourd’hui sur un même terrain. Ou plus exactement, les secteurs du public où elles interviennent conjointement ne cessent de s’étendre aux dépens de ceux où elles agissent seules.

La véritable faiblesse économique de la presse française est l’une des raisons qui ont réduit sa capacité d’initiative comme le montre l’exemple du groupe Hersant allié à Matra-Hachette, en se retirant de la chaîne de télévision appelée en son temps La Cinq. De plus, les éditeurs n’ont pu s’imposer comme partenaires dans les restructurations intervenues au sein de secteurs stratégiques pour eux (industrie papetière, impression, distribution) voire même dans leur propre domaine, laissant la place à des groupes étrangers. Ces missions, qui entourent la presse mais qui sont nécessaires pour la faire vivre, sont verrouillées par un syndicalisme très fort, qui a montré toute sa dimension pendant l’hiver 2002, lorsque des journaux gratuits ont tenté de s’installer en France, en ne passant pas par les réseaux classiques qui proposent des prix prohibitifs d’impression. Ces pratiques concurrentielles, voire anti-concurrentielles ne favorisent absolument pas le droit à l’information. Malgré l’élaboration de règles strictes, le pluralisme est malmené en pratique. En l’absence de règles contraignantes, l’honnêteté de l’information, essentielle au droit à l’information, est aussi difficile à mettre en œuvre.

Notes
494.

Recommandation n° (91) 5, adoptée par le Conseil des Ministres le 11 avril 1991, consultable sur le site Internet du Conseil de l’Europe.

495.

De 1983 à 1992, l’ensemble de la presse a connu une croissance nette de 158 titres grâce au dynamisme de la presse magazine spécialisée. Néanmoins, la presse d’information politique et générale a perdu 55 titres, parmi lesquels 17 quotidiens. En outre, nombre de titres de la presse d’information ont été repris par des groupes financiers. L’évolution dualiste de l’économie de la presse se confirme ainsi : face à une presse magazine et spécialisée dynamique, la presse politique et générale vit mal. En 1993, dans un numéro de Médias pouvoirs, consacré à la presse, J. Miot, alors président de la Fédération nationale de la presse française, rappelait que : « le premier marché de la presse, c’est le lecteur, la qualité éditoriale est le meilleur remède ».