Partie 2. Le droit à l'information et ses incertitudes

D’un simple objet du droit, l’information est devenue un droit. Un droit qui correspond à l’évolution de la société démocratique, et qui doit trouver sa place parmi les autres libertés ou droits de l’homme.

La reconnaissance, l’affirmation d’un droit, peut se mesurer à son dégré d’effectivité 580 . Il s’agit selon P. Lascoumes du « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » 581 . Plus largement, l’effectivité désigne tout effet de toute nature qu’une norme peut avoir 582 . Il s’agit donc de l’étude de la correspondance entre les règles de droit et les comportements. Mais s’intéresser aux comportements sociaux ne suffit pas, il faut apprécier les pratiques des instances chargées d’assurer l’application de la loi, c’est l’effectivité du contrôle du respect de la règle et son degré d’accessibilité pour ceux à qui elle est destinée 583 . Les juges seront les meilleurs spectateurs de l’effectivité du droit à l’information.

Pour J. Commaille 584 , cette obsession de l’aval du droit dont témoignerait parfois le souci de l’effectivité peut ainsi être perçue comme comportant un écueil : celui de la soumission à la tyrannie de l’opinion. Cette crainte existe de la même manière si l’on tend à considérer le droit à l’information comme un droit subjectif, dont les téléspectateurs, auditeurs et lecteurs pourraient se prévaloir devant un juge. Pour M. Commaille, après le renoncement à la perspective jusnaturaliste, c’est-à-dire le fait que la légitimité de la règle de droit tient à sa conformité, à certains idéaux et à certaines valeurs, à celle du positivisme, la légitimité de la règle de droit tient au fait qu’elle a été établie conformément au principe de légalité, c’est-à-dire qu’« elle a été édictée par les autorités compétentes et selon une procédure établie » 585 , ce serait désormais « l’état des pratiques sociales qui [devrait] fonder la législation, la légitimité [deviendrait] un problème de consensus » 586 . Par le recours au sondage d’opinion, le sociologue deviendrait alors « l’oracle du consensus » puisqu’il serait admis que « l’accord de l’opinion publique confère aux lois leur meilleure chance d’effectivité » 587 . Le droit à l’information semble entrer dans cette mouvance de la tyrannie de l’opinion. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une grande partie de la doctrine n’est pas favorable à la reconnaissance du droit à l’information comme un droit subjectif : l’opinion ne doit pas faire et défaire l’information. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre titre 1.

Que ce soit à la requête d’un lecteur, téléspectateur auditeur ou non, le droit à l’information est très souvent confronté à d’autres libertés ou droits. Le juge judiciaire a eu plusieurs fois l’occasion de se référer au droit à l’information et particulièrement au droit à l’information honnête. S’il le fait souvent de manière indirecte, en énonçant les qualités de l’information correspondant à la définition de l’honnêteté (véracité, objectivité 588 …), la plupart des décisions de la Cour 589 relatives à la presse affirme ces qualités intrinsèques de l’information, sans oublier de mentionner le lecteur, ou le téléspectateur qui est le destinataire de cette information.

Par exemple, la Cour de cassation a pu estimer en 1994 : « indépendamment des dispositions spéciales concernant la presse, l’édition, et eu égard au droit du public à l’information, l’auteur d’une œuvre relatant des faits historiques engage sa responsabilité à l’égard des personnes concernées lorsque la présentation des thèses soutenues manifeste, par dénaturation, falsification ou négligence grave, un mépris flagrant pour la recherche de la vérité » 590 .C’est donc pour sauvegarder le droit à l’information du public que l’auteur d’une oeuvre doit diffuser une information honnête.

Les jurisprudences consacrant explicitement le droit à l’information honnête restent relativement sporadiques pour la simple raison que le juge, même s’il a reconnu l’existence d’un droit subjectif, limite la possibilité d’action des requérants (titre 1). Cependant, s’il n’emploie pas toujours précisément l’expression « droit à l’information », il utilise des formules très similaires. Les juges font référence à la légitimité de l’information 591 , à l’illustration adéquate 592 , ou d’une manière générale, ils considèrent que le journaliste doit porter à la connaissance du public tout événement qui parait présenter un intérêt… Les juges l’utilisent de plus en plus pour justifier les atteintes aux droits de la personnalité même s’ils restent encore frileux face à la sauvegarde de l’ordre public (titre 2).

Notes
580.

Voir par exemple J. CARBONNIER, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, L’Année sociologique, vol. 7, 1958.

581.

Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ, 1993, p. 217.

582.

P. LASCOUMES, « L’analyse sociologique des effets de la norme juridique : de la contrainte à l’interaction », in A. Lajoie, Théorie et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Bruylant, Thémis, 1998.

583.

F. RANGEON, « Réflexions sur l’effectivité du droit », in CURAPP, Les Usages sociaux du droit, PUF, 1989.

584.

J. COMAILLES, Dictionnaire de la culture juridique, D. Allard et S. Rials (sous la direction de), PUF, 2003, p. 1680, définition du néologisme « effectivité ».

585.

V. Demers, Le Contrôle des fumeurs. Une étude d’effectivité du droit, Thémis, 1996.

586.

P. Lascoumes et E. Serverin, « Théories et pratiques de l’effectivité du droit », Droit et Société, no 2, 1986.

587.

J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, 1994, p. 298

588.

Voir par exemple l’article de P. AUVRET, « Droit du public à l’information », Légipresse 2000.II. 33.

589.

Nous avons pris le parti de ne pas citer plus de jurisprudences car elles reflètent toutes la même idée ; le respect d’une information, honnête, véridique, objective… même si le vocabulaire employé peut varier selon les affaires.

590.

Cour de cass. 15 juin 1994, Bull. civ. I., n° 218, p. 159.

591.

TGI Paris, 2 juillet 2003, Légipresse 2003. I. 155.

592.

TGI Nanterre, 17 mai 2000, Légipresse 2000. I. 141.