Sous section 1. Du droit objectif au droit subjectif : du but à atteindre pour la Société au droit pour le citoyen

Schématiquement, les droits objectifs sont ceux dont la réalisation relève du domaine des autorités publiques, ce qui correspond aux droits-créances comme le droit à un travail ou à la santé par exemple. Selon G. Cornu, il s’agit « d’un ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société » 637 .

Quant aux droits subjectifs, ce sont ceux dont les titulaires sont des sujets de droit, ceux qui peuvent être invoqués par chacun ou par catégorie, devant les juridictions. Tous les droits ou libertés fondamentaux ne sont pas des droits subjectifs, notamment si les citoyens n’en sont pas titulaires, s’ils ne peuvent demander directement réparation au juge pour sanction de leur inexécution, ou de leur non respect. Ces droits ne sont alors qu’objectifs, avec comme débiteur l’Etat, mais sans véritable créanciers selon la formule de B. Mathieu et M. Verpeaux 638 . Pour ces mêmes auteurs, le droit à un logement décent, par exemple, n’appartient pas à la catégorie des droits subjectifs, contrairement à ce qu’ont décidé certaines juridictions 639 . Dans un autre sens, si les juridictions tendent à reconnaître l’existence subjective de certains droits, comment ne pas les reconnaître comme des droits subjectifs ? Il est vrai que l’appréciation des juridictions est très ambiguë, comme nous le vérifierons pour le droit à l’information. Mais leur absence de subjectivité n’empêche par forcément ces droits de bénéficier d’une effectivité juridique.

On peut ainsi classer parmi les droits subjectifs la liberté d’aller et venir, la sûreté, la propriété, la liberté de pensée, le droit de grève, la liberté syndicale… Certains droits ou libertés comme le principe d’égalité peuvent appartenir à plusieurs catégories, selon l’approche que l’on en fait 640 .

Pour D. Gutmann, le droit subjectif est le droit du sujet 641 . Plus précisément, c’est tantôt le droit pour une personne de faire quelque chose, tantôt celui d’obtenir qu’une autre personne fasse quelque chose à son profit. Selon cette première approche, le droit subjectif semble se réduire à une prérogative individuelle conférée à un sujet de droit. Il s’oppose en cela au droit dit « objectif », lequel est constitué des règles de droit habilitant le sujet à agir. Le droit subjectif présuppose un tiers auquel il est opposable : c’est le droit de faire valoir une prérogative donnée à l’encontre d’autrui. Le droit subjectif est une possibilité d’agir conférée dans l’intérêt exclusif de son titulaire. Nous préciserons que le titulaire peut être une personne individuelle ou un groupe de personnes comme les associations dans certains cas. D. Gutmann expose la liste des droits à, droits subjectifs, telle qu’elle est d’ailleurs énoncée par D. Cohen 642 . Il s’agit des droits à l’éducation, à la santé, au logement, à la vie privée, à l’image, à l’honneur, à l’air pur (voire à l’environnement), à l’information, au RMI, au procès équitable, au nom, à ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant... D. Cohen explique que ces droits subjectifs proclamés ne sont pas nouveaux mais se confondent, soit avec des principes fondamentaux ou des principes généraux du droit, soit avec des libertés publiques. D. Gutmann en conclut que la définition du droit subjectif est en perdition. Pour lui, il ne reste, en réalité, du droit subjectif, que les débats qui l’ont entouré et qui manifestent, indépendamment de leur objet, les oppositions entre plusieurs conceptions des fins du droit. Cette analyse est intéressante dans la mesure où la plupart des droits tendent à revêtir un caractère subjectif.

Beaucoup d’auteurs ont essayé de définir cette notion de droit subjectif qui met en difficulté le juriste. M. Dabin l’a caractérisée par la relation « d’appartenance-maîtrise » unissant un sujet de droit et un objet donné 643 . Appartenance, dans la mesure où la personne peut dire d’un droit qu’il est « le sien »; maîtrise, en tant que pouvoir de libre disposition de la chose objet du droit, résultant de l’appartenance. Moins complexe, la thèse de M. Roubier insiste sur l’opposition entre droit subjectif et situation juridique objective 644 . Alors que le premier constitue une situation juridique tendant principalement à créer des droits plutôt que des devoirs, la seconde tend à reconnaître des devoirs plutôt que des droits. Force est donc de constater qu’il existe sans doute autant de définitions du droit subjectif que d’auteurs pour s’intéresser à la question…

Les débats doctrinaux sur ces notions datent des années 1950 ou 1960 et la société est devenue beaucoup plus consumériste depuis, tendant à multiplier les droits subjectifs. Sans tomber dans les travers américains, il est vrai que la tendance est de transformer chaque aspiration de l’homme en droit-créance voire en droit subjectif dont les juridictions devront répondre. La multiplication des droits subjectifs 645 est une réalité que l’on ne peut nier. Les débats très philosophiques du passé ont laissé la place à une définition plus consensuelle et pratique : le droit subjectif se reconnaît à travers la détermination de son objet, de titulaires déterminés, d’une opposabilité et d’une justiciabilité. Même si cette définition semble claire, son application pratique n’est pas confirmée, notamment pour la reconnaissance du droit à l’information comme droit subjectif.

Notes
637.

G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2000, p. 319.

638.

B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, Paris, 2002, p. 435.

639.

Voir par exemple, TGI Saintes, 28 mars 1995, Juris-data 1342.

640.

En ce sens, F. Melin-Soucramamien, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Economica, coll. Droit public positif, 1997, n° 225 et suiv.

641.

D. GUTMANN, « Droit subjectif», dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, 1680 p.

642.

D. Cohen, « Le droit à...  », in L’Avenir du droit Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Éd. du Jurisclasseur, 1999, p. 393.

643.

M. DABIN, « Le droit subjectif », Dalloz, 1952, p. 81-93.

644.

M. ROUBIER, « Droits subjectifs et situations juridiques », Dalloz, 1963.

645.

Voir par exemple le Doyen CARBONNIER, « La prolifération des droits subjectifs » in l’Etat de droit, dossier réalisé par J. CHEVALLIER, Problèmes politiques et sociaux, la documentation française, mars 2004, n° 898, 112 p.