Sous section 1. Une reconnaissance insuffisante du secret professionnel du journaliste par les textes français

La loi du 4 janvier 1993 693 , innovante et fondatrice en la matière, a vite montré ses limites, elle est loin d’être très claire. Cette loi relative à la procédure pénale est venue introduire un alinéa supplémentaire à l’article 109 du Code de procédure pénale : « Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ». Cette loi ne pose pas un principe général de protection des sources journalistiques 694 mais la formulation de l’article laisse supposer que le journaliste a quand même la possibilité de révéler ses sources, alors même que toutes les chartes journalistiques font de la non-révélation des sources un principe fondamental du droit de la presse. Le principe posé par l’article 109 n’étant pas absolu, il va trouver quelques limites et oppositions 695 .

Dans ce même article 109 qui propose au journaliste de ne pas révéler ses sources, le premier alinéa indique que « toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal ». Ces dernières dispositions concernent l’atteinte au secret professionnel et les sanctions à l’encontre des personnes soumises à ce secret professionnel. Or, ces articles du Code pénal n’ont pas intégré les journalistes comme bénéficiaires du secret professionnel. Surtout, la limite posée au secret professionnel par l’article 226-14 concerne la divulgation aux autorités judiciaires. Dès lors, il semblerait que les journalistes appartiennent à la catégorie des « toute personne citée », il y aurait donc contradiction entre les deux alinéas. Il aurait été plus judicieux d’introduire les journalistes dans ces dispositions (issues de l’article 378 du Code pénal ancien), au même titre que les avocats, médecins, religieux, policiers, jurés…

Selon l’article 226-13 du nouveau Code pénal, « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Ce texte vaut à la fois pour les médecins, les avocats ou encore les professions comptables. La question s’est posée pour les journalistes comme le rappellent MM. Chomienne et Guréy 696 . Il est bien connu que, pour mener à bien leur tâche d’information des citoyens, les journalistes ont besoin de « fuites ». Généralement, ce ne sont pas eux qui sont dépositaires du secret de façon directe mais on leur a plutôt confié ce secret. Il ressort de l’article 226-13 du nouveau Code pénal que le journaliste ne saurait être accusé de violation du secret professionnel mais qu’il pourra être poursuivi pour recel de violation du secret professionnel. Pourtant, selon l’article 109 du Code de procédure pénale, « tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ». Les poursuites contre les journalistes aboutissent ainsi le plus souvent à des impasses.

Finalement, aucun texte pénal ne garantit franchement le secret des sources journalistiques. Rappelons que la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée en 1971 impose aux journalistes de garder le secret professionnel et de ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement 697 .

Cette insuffisance de clarté dans les textes a généré quelques situations ridicules où un journaliste a été licencié car il avait violé le secret professionnel 698 . Un journaliste doit être soucieux de la vérité due à ses lecteurs, il a le droit de porter assistance, de soutenir tout citoyen en difficulté mais il est vrai qu’il doit s’interdire d’utiliser certaines confidences qui lui ont été faites parce qu’il est journaliste, et de les rendre publiques, a fortiori dans une démarche officielle, sans l’autorisation de celui qui lui a transmis l’information. Un journaliste doit garder le secret professionnel, il ne doit pas confondre son rôle avec celui d’un policier.

Mais parler ou se taire, la position du journaliste peut être délicate. Les pouvoirs publics demandent parfois aux journalistes de ne pas ébruiter certaines informations susceptibles de troubler l’ordre public et plus particulièrement la sécurité publique. Le choix entre le spectaculaire ou l’analyse approfondie de l’information doit s’imposer aux journalistes.

Les perquisitions peuvent aussi réduire la portée de la protection des sources journalistiques. L’article 56-2 du Code de procédure pénale, introduit par la loi de 1993, apparaît comme une entorse à la protection des sources journalistiques : « Les perquisitions dans les locaux d’une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat qui veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste et ne constituent pas un obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l’information ». Malgré toutes les précautions prévues, le principe même des perquisitions va à l’encontre de la protection des sources journalistiques. L’entreprise de presse est par définition le lieu où travaillent les journalistes, gageons alors que les justificatifs de leurs sources seront découverts. Les articles 109 et 56-2 du Code de procédure pénale apparaissent incompatibles : le journaliste serait en droit de ne pas révéler ses sources mais en revanche, un magistrat peut venir faire des recherches sur le lieu de travail du journaliste et éventuellement découvrir ainsi les sources que le journaliste aurait voulu protéger. Ces positions sont contradictoires.

Enfin, l’article 11 du Code de procédure pénale 699 ne protège pas non plus le journaliste et ses sources. Le secret de l’instruction est absolu : si un journaliste en dévoile quelques éléments, il sera probablement puni pour violation du secret de l’instruction ou recel du secret de l’instruction 700 , il lui sera alors difficile de ne pas dévoiler ses sources, comme nous le verrons dans un paragraphe suivant. E. Derieux précise que si la presse n’est pas tenue au secret de façon directe, elle l’est de manière indirecte puisque l’article 11 explique que toute personne qui concoure à cette procédure est tenue au secret professionnel 701 . Pourtant, le rôle des journalistes est justement de diffuser de l’information. Leur responsabilité peut être engagée indirectement par ce fait : soit par complicité de violation du secret, soit par recel. Nous ne manquerons pas de revenir sur le problème du recel au regard de la jurisprudence européenne.

Si la loi de 1993 n’est finalement pas si favorable à la protection des sources journalistiques, les dispositions 702 de loi Perben du 9 mars 2004 703 , portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité relatives au secret sont encore moins protectrices des journalistes 704 . Alors que la justice pouvait demander à tout organisme public ou toute personne morale de droit privé de lui fournir les documents nécessaires à l’enquête, la loi Perben 2004 enjoint toute personne à fournir les documents visés. Certes, les perquisitions dans les entreprises de presse ou de communication audiovisuelle ne peuvent être réalisées que si elles ne constituent pas un obstacle ou un retard injustifié à la diffusion de l’information et qu’elles ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste, mais l’article 56-2 du CPP ne vise pas le journaliste expressément. Comme l’a fait remarquer « Reporter sans frontières », beaucoup de journalistes ont des informations à domicile, l’association a donc tenté d’étendre cette protection de l’article 56-2 du CPP au domicile du journaliste. Mais cet amendement proposé n’a pas été retenu par les parlementaires. Les journalistes sont donc libres de dévoiler ou non leurs sources lorsqu’ils sont entendus comme témoins, mais ils sont contraints de le faire sous couvert d’amende si les informations détenues intéressent les officiers de police judiciaire. La protection des sources journalistiques en droit interne est très opaque et paradoxale…

Les textes européens sont bien plus clairs. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a rappelé le droit pour les journalistes de ne pas révéler leur source d’information dans une recommandation adoptée le 8 mars 2000 705 . Le texte rappelle les différentes résolutions en la matière et recommande aux Etats de mettre en œuvre dans leur droit et leur pratique interne les principes visés. Les seules limites au droit de non-divulgation sont celles énoncées par le paragraphe 2 de l’article 10 de la CESDHLF, dont la sécurité publique. La jurisprudence européenne va donc être beaucoup plus protectrice des journalistes.

Notes
693.

Loi no 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, JO n° 3 du 5 janvier 1993, p. 215.

694.

Voir par exemple P. AUVRET, Les journalistes : statut, responsabilités, Encyclopédie Delmas, Droit de la propriété littéraire, artistique, industrielle, 1re éd., 1994, mise à jour août 1996 ; « Le journalisme d’investigation selon la Convention européenne des droits de l’homme », Légipresse 1997, no 140, II, p. 33 ; « Secret professionnel et liberté d’expression du journaliste au regard de l’article 10 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », Les petites affiches 30 juill. 1997, p. 23; « Le secret des sources journalistiques », in Droit de la presse, Litec, Fasc. 447, oct. 1996.

695.

Voir par exemple : H. GATTEGNO, « Journalisme et recel : aspects journalistiques », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 131 et s.

696.

C. CHOMIENNE, C. GUERY, « Secret, révélation, abstention, ou les limites de la liberté de conscience du professionnel dans le nouveau code pénal ». Dalloz 1995, commentaires législatifs p. 85.

697.

Selon la Charte, les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont : « Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ».

698.

Voir l’article du journal « Le Monde » du 15 mars 1993, p. 9, relatif au licenciement d’un journaliste par le journal « Var matin ».

699.

« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

700.

Voir par exemple : Y. BAUDELOT, « Journalisme et recel : aspects juridiques », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 123.

701.

E. DERIEUX, « Secret de l’instruction et droit à l’information », LPA n° 70, 11 juin 1997, p. 6-11.

702.

Introduites à l’article 60-1 du CPP : « L’officier de police judiciaire peut requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l’enquête, y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3, (il s’agit des avocats, des entreprises de communication audiovisuelle, les médecins, notaires, huissiers mais non les journalistes) la remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord. A l’exception des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3, le fait de s’abstenir de répondre dans les meilleurs délais à cette réquisition est puni d’une amende de 3 750 Euros. Les personnes morales sont responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du code pénal, du délit prévu par le présent alinéa ».

703.

Loi du 9 mars 2004, J.O n° 59 du 10 mars 2004 p. 4567.

704.

Voir par exemple A. GUEDJ, « La protection des sources journalistiques : une lecture du droit positif français à l’aune de la loi Perben 2 », Légipresse n° 211, 1er avril 2004, p. 53-59.

705.

Recommandation n° R (2000) 7 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information.