Section I. Les moyens de la justiciabilité du droit à l’information

Il existe une certaine confusion dans les moyens textuels pouvant être utilisés devant le juge en matière de presse. Le requérant aura à sa disposition le Code civil, le Code pénal, le Code de procédure civile ou les différentes lois sur la presse. Certains textes sont spécifiques, d’autres plus généraux, mais tous sont applicables aux différents types de médias ; que ce soit la presse écrite ou la communication audiovisuelle. La procédure est complexe. Ainsi par exemple, la mise en oeuvre de l’action publique ne peut être exercée que sur plainte de la victime ou, après sa mort, de ses ayants droit (article 226-6 du Code pénal) ; la détermination du responsable 723 doit se faire par application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui impute la responsabilité des délits de presse au directeur de la publication 724 . Pour les faits d’atteinte à l’intimité de la vie privée, l’article 226-7 du Code pénal prévoit la possibilité de la mise en jeu de la responsabilité pénale des personnes morales. Il en découle que seul un retrait de plainte est de nature à mettre fin aux poursuites en cours 725 . La loi de 1881 est une loi procédurière qui détermine précisément les personnes responsables. La loi du 29 juillet 1982 a d’ailleurs calqué la mise en jeu de la responsabilité des auteurs d’infractions en matière de communication audiovisuelle sur la loi de 1881. Pour que la personne responsable soit condamnée, encore faut-il utiliser la bonne procédure : le requérant aura le choix entre une action pénale ou civile, malgré une compétence de principe pour le juge pénal selon l’article 45 de la loi de 1881 726 .

Si la loi de 1881 fait référence aux Tribunaux correctionnels, les juges ont toujours considéré que la partie lésée pouvait porter la réparation de son préjudice soit conjointement à l’action publique devant les juges pénaux, soit devant les juges civils par voie d’action civile principale 727 . Les sanctions pécuniaires prononcées par le juge pénal seront moins lourdes, mais la vraie différence tient à une procédure plus subtile en matière pénale. Plus particulièrement, l’article 46 de la loi de 1881 prévoit que l’action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 de la loi de 1881 (diffamation contre les fonctionnaires, Tribunaux, titulaires de mandat public…) ne pourra être séparée de l’action publique. L’incompétence de la juridiction civile est d’ordre public. Mais la loi de 1881 ne s’adresse pas directement aux citoyens, les moyens mis en place pour faire sanctionner les atteintes au droit à l’information sont rares 728 . Dès lors, la voie de l’article 1382 du Code civil est privilégiée. Outre les dispositions de la loi de 1881 relatives aux infractions de presse, l’article 1382 du Code civil est en effet un moyen permettant de faire sanctionner les atteintes au droit à l’information honnête et pluraliste. C’est d’ailleurs le moyen qu’a utilisé l’association TV Carton jaune pour essayer de faire respecter son droit. Mais l’utilisation généralisée de l’article 1382 du Code civil alors même qu’il existe des moyens spécifiques pour faire respecter le droit de la presse est loin de laisser les juges indifférents.

Notes
723.

L’article 42 de la loi de 1881 institue un régime de responsabilité dite «en cascade». Sont, dans l’ordre, considérés comme auteurs des infractions poursuivies :

« 1- les directeurs (ou codirecteurs) de publications et éditeurs ; 2- à leur défaut, les auteurs ; 3- à défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4- à défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs. L’article 43 de la même loi ajoute que, « lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices. Pourront l’être, au même titre et dans tous les cas, les personnes auxquelles les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal (pourraient) s’appliquer (…) ».

La responsabilité s’analyse par rang et non pas par personne. Les juges admettent une véritable présomption de responsabilité, même si elle n’écarte pas l’admission de la bonne foi (Cour d’Appel de Dijon, 3 février 1981. Gaz. Pal. 1981.2.236). De cette manière, un directeur de publication ne peut se dégager de sa responsabilité qu’en établissant qu’il a donné l’ordre formel de ne pas publier un article ou s’il a démissionné avant que n’intervienne la publication. Le directeur de la publication a un devoir de surveillance : il doit vérifier tout ce qui est publié (Cour de cass. crim. 23 février 2000. Bull. Crim. n° 85, p. 247). Sa responsabilité est d’ailleurs la conséquence de ce devoir de surveillance et de vérification des informations. Toutes les autres personnes ne figurant pas dans l’énoncé limitatif de la loi de 1881 ne pourront être poursuivies que sur la base de la complicité. Quant aux auteurs, qui sont finalement les principaux responsables de leurs actes, l’article 43 instaure de fait une responsabilité quasi-automatique. Ne sont concernés par les dispositions des articles 42 et 43 de la loi de 1881 que les crimes et délits commis par la voie de presse écrite, c’est-à-dire par les quotidiens, les autres périodiques, les brochures et les livres. Ce même régime de «responsabilité en cascade», s’agissant des infractions définies dans la loi de 1881, a été partiellement transposé, en matière de communication audiovisuelle, par l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, introduit par la loi n° 185-1317 du 13 décembre 1985, JO du 14 décembre 1985, p. 14535, et maintenu en vigueur par la loi du 30 septembre 1986. En revanche, lorsque les propos ont été tenus en direct, sans possibilité de contrôle préalable, c’est leur auteur qui doit en assumer personnellement la responsabilité. (TGI Paris, 11 octobre 1994, Légipresse 1997, n° 141, I, p. 56.) La loi du 13 décembre 1985 a enrichi la loi de 1881 à travers l’énoncé des crimes et délits commis par tout moyen de publication (article 23 de la loi de 1881) : la communication audiovisuelle est un moyen de presse pouvant servir de support aux infractions de presse. Dès lors, il aurait été plus simple d’opérer de la même façon concernant la détermination des personnes responsables : le régime de la loi de 1982 étant calqué sur celui de la loi de 1881, l’introduction de la communication audiovisuelle dans les articles 42 et 43 de la loi de 1881 était envisageable.

724.

Cour de Cass. crim., 20 oct. 1998, no 97-84.621, D. 1999, jur., p. 106, note Beignier, Dr. pénal 1999, no 18, p. 9.

725.

Cour de Cass. crim., 3 mars 1998, no 96-81.171, Gaz. Pal. 2-4, août 1998, chr., p. 8.

726.

« Les infractions aux lois sur la presse sont déférées aux tribunaux correctionnels sauf : a) Dans les cas prévus par l’article 23, en cas de crime ; b) Lorsqu’il s’agit de simples contraventions ».

727.

Voir par exemple, TGI Paris, 20 mai 1998, Légipresse, 1998, III, p. 120.

728.

Par exemple, la loi du 29 juillet 1881 traite en ses articles 12, 13 et 13-1 du droit de rectification et du droit de réponse, dont les objectifs sont différents. Alors que le droit de rectification est réservé aux dépositaires de l’autorité publique, qui ne peuvent l’exercer que dans le seul but de rectifier une information inexacte au sujet des actes de leur fonction relatés dans une publication périodique, le droit de réponse est largement ouvert à toute personne, quelle que soit sa qualité, du seul fait qu’elle est nommée ou désignée dans une publication. L’un ressort d’un système rectificatif d’intérêt public destiné à informer les administrés ; l’autre s’analyse comme la mise à disposition d’un espace du périodique en faveur des personnes qui y sont nommées ou désignées afin de contrebalancer le pouvoir exorbitant de la presse et de permettre la défense des droits attachés à la personne. L’un et l’autre imposent au journal, au périodique, l’insertion forcée d’un texte qui n’a pas été rédigé par sa rédaction et réalisent ainsi une forme d’expropriation partielle de l’espace rédactionnel au profit des bénéficiaires de ces droits.