Sous section 1. Le maintien de l’exigence du consentement de la personne hors fait d’actualité

Le principe qui domine est que toute publication de l’image d’une personne suppose le consentement de l’intéressé. Le droit à l’image 969 est reconnu textuellement, et, de ce fait, aucune image d’anonyme ne peut être divulguée sans le consentement de la personne photographiée, sauf exception d’un fait d’actualité comme nous l’envisagerons dans un second temps. D’une façon plus générale, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a le droit de s’opposer à la publication, sans son autorisation, de faits touchant sa vie privée, à moins que la diffusion de cette image participe à l’information.

Le droit à l’image a toujours été bien protégé. Par exemple, la publication sans consentement d’une photographie en gros plan de personnes apparaissant lors d’une manifestation homosexuelle et avec un commentaire rédigé sur un ton de raillerie particulièrement ironique, est contraire au droit à l’image 970 . Il en va de même lorsqu’elle fait apparaître la personne photographiée à l’occasion d’une activité professionnelle dans une position inconvenante 971 , ou préjudiciable à son activité militante 972 , ou encore lorsque la personne est mêlée à un événement d’actualité à son corps défendant 973 .

M. Ravanas rappelle que, face au droit à l’information, il existe le droit de chacun de s’opposer à la reproduction de son image 974 . Le consentement peut être tacite, c’est le cas si la personne se laisse délibérément filmer ou photographier 975 . Pour les personnes décédées, la Cour d’appel de Paris 976 a admis que le consentement doit être donné par la famille, sans préciser s’il s’agit d’un droit propre aux héritiers ou d’un droit qu’ils recueillent de la succession. L’affaire concernait la publication des photos de F. Mitterrand sur son lit de mort. Effectivement, des photos du Président avaient été diffusées dans « Paris-Match ». Elles avaient été prises dans l’appartement du défunt, c’est-à-dire dans un lieu privé, par un photographe anonyme et la direction de la publication pensait qu’elles avaient été obtenues avec le consentement de la famille. Dans tous les cas, il appartient à l’éditeur de fournir la preuve du consentement. Celui-ci doit être donné soit par la famille, soit par le défunt, avant de mourir. L’opposition des ayants droit est à prendre en considération, a fortiori lorsque le défunt n’a pas eu l’occasion de faire connaître sa volonté personnelle sur ce point. Le consentement doit être express et explicite. Des propos qu’auraient tenus le Président de son vivant concernant la liberté de la presse ne peuvent être considérés comme un consentement explicite. La Cour de cassation 977 consolide cette position en considérant que la fixation de l’image d’une personne, vivante ou morte, sans autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de l’accorder est prohibée. En l’espèce, les juges confirment l’atteinte à la vie privée d’autrui, en relevant qu’il n’y avait pas besoin de préciser qui est autrui : le décédé ou ses ayants droit. En effet, le fait de prendre des photographies d’une dépouille mortelle porte incontestablement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui 978 .

Si le principe du consentement est la règle pour les photos prises dans un lieu privé, on peut donc se demander si une photographie prise dans un lieu public peut être diffusée sans le consentement de son auteur. La principale difficulté d’application réside dans la notion de lieu privé. Le lieu privé est un endroit qui n’est accessible à personne sauf autorisation de celui qui en a la jouissance 979 , alors que le lieu public est par nature accessible à tous sans contrôle (rue, plage). Ont ainsi été considérés comme lieux privés : un bateau au large 980 , une chambre d’hôpital, un magasin, des bureaux non accessibles au public, un lieu de détention. De même, le fait de photographier un tiers, sans son consentement, à travers la fenêtre fermée de son appartement est constitutif du délit 981 . L’intention frauduleuse, qui résulte du caractère illicite de l’obtention des documents, est manifeste pour des photographies prises à l’aide d’un téléobjectif, tout professionnel averti ne pouvant ignorer qu’il s’agit de photographies volées ou non autorisées 982 .

La Cour de cassation a par exemple observé en 1997 983 que la publication d’une photo d’un avocat prise lors d’une réunion à caractère privé chez ses clients est constitutive d’une atteinte à la vie privée. Celle-ci est consommée à partir du moment où il n’y a pas eu consentement, l’information n’étant pas considérée comme publique. Pour M. Blanchot, « l’image humaine est intime parce qu’elle fait de notre intimité une puissance extérieure qui nous subissons passivement » 984 .

Enfin, le principe du consentement a pour conséquence la patrimonialisation du droit à l’image que C. Bigot dénonce en affirmant que la jurisprudence classique relative au droit à l’image a pour effet la mise en place d’un véritable droit de péage 985 .

Alors que dès 1858, le Tribunal civil de la Seine affirmait : «  nul ne peut sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer avec publicité les traits d’une personne sur son lit de mort, quelle qu’ait été la célébrité de cette personne » 986 . Ce principe du consentement tend à tomber en désuétude, notamment lorsque l’image a un lien avec l’actualité, avec l’information, sauf dans deux cas très particuliers : pour protéger la dignité de la personne humaine et la présomption d’innocence, dans le but de satisfaire le droit légitime du public à l’information.

Notes
969.

Dans un article du Monde du 22 mars 1998, l’association nationale des journalistes reporters-photographes faisait part de son inquiétude face au nombre croissant de procès intentés et gagnés par des particuliers qui réclamaient des dommages et intérêts après s’être reconnus dans la presse. En effet, le simple fait de reconnaître clairement son visage dans un journal sans avoir donné son autorisation, même si la publication n’était pas préjudiciable, suffisait pour demander quelques milliers d’euros de dommages-intérêts. Les journalistes reprochaient aux juges de faire primer le droit à l’image, au détriment du droit à l’information. Nous verrons que les juges ont partiellement été à l’écoute des revendications des journalistes.

970.

TGI Paris, 1ère ch., 4 juill. 1984, V... c/Cogédipresse, D. 1985, I.R., p. 17, note Lindon. 

971.

CA Paris, 1ère ch., 20 oct. 1990, Légipresse 1991, no 84, I, p. 82 ; TGI Paris, 1ère ch., 3 mai 1989, Xuereb c/L’Equipe, D. 1989, I.R., p. 228 ; CA Paris, 1ère ch. A, 27 sept. 1988, SARD c/UFC, Gaz. Pal. 1989, 1, jur., p. 191, note Frémond.

972.

Cour de cass. 2ème civ., 4 juill. 1984, Gaz. Pal. 1984, 2, p. 315.

973.

TGI Paris, 1ère ch., 1re sect., 3 juill. 1974, Laborde c/Chevrillon et autre, JCP éd. G 1974, II, no 17873.

974.

J. RAVANAS, «  Retour sur quelques images », Recueil Dalloz, 16 mai 2002, chronique, p. 1502.

975.

TGI Paris, 2 juin 1993, Gaz. Pal. 1994.1.131, à propos des amoureux sur un banc public, célèbre photographie de Doisneau.

976.

Cour d’appel de Paris 6 mai 1997, JCP 1997 I. 4052, n°3.

977.

B. BEIGNIER, « Photographie de la dépouille mortelle, dernier portrait d’un artiste », Recueil Dalloz, 18 février 1999, p. 106.

978.

La notion « d’autrui » vise « l’autre » auquel le respect est dû en raison de sa condition d’être humain, qu’il soit vivant ou décédé.

979.

CA Besançon, 5 janv. 1978, D. 1978, jur., p. 357, note Lindon.

980.

TGI Paris, 17ème ch., 28 avr. 1998, Al Fayed c/Thérond, Légipresse 1998, no 156, III, p. 158, note E. Derieux.

981.

Cour de cass. crim., 25 avril 1989, no 86-93.632, Légipresse 1989, no 66, I, p. 72.

982.

TGI Paris, 17ème ch., 28 avr. 1998, précité.

983.

Cour de cass. 2ème. Civ. 5 mars 1997, Recueil Dalloz, 1998 jurisprudence, p. 475.

984.

M. BLANCHOT, L’espace littéraire, Gallimard 1955, p. 356.

985.

C. BIGOT, « La liberté de l’image entre son passé et son avenir » Légipresse, 2001.II. p. 85.

986.

Tribunal civil de la Seine, 16 juin 1858, Dalloz 1858, 3, p. 62.