Sous section 2. La légitimité de la diffusion d’une image au nom de l’actualité, sous réserve de la protection de la dignité humaine

Selon l’évolution de la jurisprudence, l’image d’une personne quelconque, publiée sans son consentement, voire contre son consentement, lors d’un événement d’actualité, relèverait des nécessités de l’information. Il est question de l’intérêt légitime du public, du droit du public à l’information. L’appréciation serait complètement différente s’il s’agissait d’un article et d’une photo illustrant non pas un fait d’actualité, un fait d’information 987 , mais la simple publication d’une idée, d’une expression. Il faut noter qu’en ce qui concerne les images publiées à un moment x, sans consentement, mais justifiées eu égard aux faits d’actualité, leur exploitation deviendrait illicite une fois l’actualité dépassée mais pas encore entrée dans l’histoire.

Dès 1998, les juges considèrent que la photographie d’une personne dans une loge réservée aux invités du Gouvernement, alors même que se tenait à l’intérieur du Palais Bourbon une discussion sur les sectes, participe d’un événement d’actualité 988 si elle n’est pas centrée sur la personne. Les exemples sont devenus nombreux et très diversifiés. Nous pouvons somme toute constater que le droit à l’information primera lorsque les personnes ont été photographiées dans un endroit public, sans chercher à se dissimuler et qu’elles ne sont pas dans une situation particulièrement désagréable ou ridicule, qu’elles ne sont pas l’objet principal de la photographie ou encore qu’elles ne sont pas reconnaissables 989 .

Mais les juges se sont montrés particulièrement novateurs dans les années 2000. La protection constitutionnelle de la dignité de la personne humaine 990 est relativement récente en France 991 , pourtant, la protection de la dignité humaine va s’opposer au droit à l’information. Les recoupements entre le droit à l’image et la dignité sont fréquents, notamment à l’occasion de la publication de photos de victimes blessées ou décédées.

Conformément à une jurisprudence devenue constante, la Cour de cassation rappelle en 2001 que « la liberté de communication des informations autorise la publication d’images des personnes impliquées dans un événement sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine » 992 .

C’est ainsi que la Haute cour judiciaire considère que la photographie litigieuse représentant le corps et le visage d’un préfet assassiné, gisant sur la chaussée d’une rue d’Ajaccio, est illicite, dès lors que cette image est attentatoire à la dignité de la personne humaine 993 . Au delà de la confirmation des limites au droit à l’information apportées par le respect de la dignité de la personne humaine, cette jurisprudence nous éclaire sur le fait que le respect dû à la dignité de l’être humain ne cesse pas avec le décès de la personne. C’est un véritable renoncement à la jurisprudence « Jean Gabin » 994 selon laquelle il y avait droit du défunt à l’image, tant qu’il y avait … image.

Le 20 février 2001, la Cour de cassation 995 statue sur une affaire de publication de photos prises à la suite de l’attentat du RER à Paris en 1995. La Cour d’appel avait retenu que si les nécessités de l’information rendaient légitime le compte-rendu de l’événement, la protection du droit à l’image de la victime commandait que la reproduction de sa photographie, prise sans son autorisation, ne permette pas son identification. La Cour de cassation rappelle : « Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle relevait que la photographie était dépourvue de recherche du sensationnel et de toute indécence et qu’ainsi, elle ne portait pas atteinte à la dignité de la personne représentée, la Cour d’appel a violé les textes susvisés… ». Il peut apparaître regrettable que la Cour d’appel se soit servi du principe de consentement alors qu’il y avait intérêt légitime du public, le principe du consentement devenant inopérant. L’atteinte à la dignité de la personne humaine suffit à faire valoir le droit à l’image, le respect de la dignité primant sur le droit à l’information, avec ou sans consentement de la victime, lorsqu’il y a atteinte à la dignité, avec toute la subjectivité que l’on reconnaît à la notion. Si l’utilité du respect de la dignité de la personne humaine comme limite au droit à l’information est incontestable, la subjectivité de la notion risque donc de donner des décisions à appréciation morale variable.

Le 12 juillet 2001, la Cour de cassation a continué son processus de mutation du droit à l’image. Cette position conduit à l’abandon progressif de la conception absolutiste du droit à l’image pour lui préférer une approche fondée sur le principe de proportion, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, et plus conforme aux exigences de l’information du citoyen, développée autour du critère de l’illustration pertinente ou adéquate de l’information. Selon C. Bigot, à travers sa jurisprudence, la Cour de cassation remet en cause le caractère absolu du droit à l’image, sous prétexte d’un droit à l’information du public susceptible de permettre la publication de l’image de certaines personnes sans leur autorisation 996 . Mais il est vrai que le droit à l’image, tel qu’il était envisagé dans une conception purement française, fondé sur le principe d’un droit exclusif permettant à toute personne de s’opposer à la publication d’une image même d’information, dès l’instant qu’elle était représentée de façon reconnaissable, n’était absolument pas conforme à l’exigence de proportionnalité chère à la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour de cassation a donc pu estimer en 2001 que « la liberté de communication des informations justifie la publication de l’image d’une personne impliquée dans une affaire judiciaire, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine » 997 .

Les décisions récentes vont dans ce sens, en appréciant les atteintes à la dignité humaine au cas par cas. Par exemple, l’hebdomadaire l’Express a été condamné, lundi 25 février 2002, pour avoir publié en mars 2000 une photographie prise trois ans avant à Paris lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) et sur laquelle figuraient deux femmes catholiques, agenouillées, en prière. La chambre de la presse du Tribunal de grande instance de Paris a fait droit aux demandes d’Anne-Sophie Henry et Anne Couvreur qui estimaient que la publication du cliché dans le cadre d’une enquête intitulée « Dieu est-il misogyne ? » portant sur la place des femmes dans les religions, « violait l’intimité de [leur] vie privée et leur réputation ». Le Tribunal leur a accordé à chacune 1 500 euros de dommages et intérêts, soit quinze fois moins que ce qu’elles réclamaient. Dans ses attendus, le Tribunal rappelle que « doit être admise la possibilité de publier des photographies de personnes impliquées dans un événement public, dès lors qu’une telle publication, en lien direct avec l’événement relaté, ne porte pas atteinte à la dignité humaine ». Mais, il estime que « c’est par rapport au contexte même de la publication qu’il y a lieu de rechercher si l’image donnée des demanderesses, en tant que femme et personne ayant des convictions religieuses, a été dénaturée ». Analysant le contenu de l’article, qualifié de « sérieusement documenté », les juges concluent que faisait ressortir une dénaturation de l’image le fait que celles-ci étaient associées à des propos ayant pour conséquence de les dévaloriser, même si l’indemnisation des victimes ne concernait pas directement la diffusion de la photographie.

Le respect de la dignité de la personne humaine est devenu la seule réserve, la seule limite à la diffusion d’images sans consentement de la victime, mais liées à l’actualité. En revanche, les juges considèrent que le droit au respect de la vie privée et le droit que chaque personne détient sur son image peut céder devant le droit à l’information et les nécessités de l’actualité dès lors que la publication n’est pas constitutive d’une atteinte à la dignité de la personne humaine 998 . D’une façon générale, la jurisprudence s’accorde à reconnaître que les droits de la personnalité ne sont pas absolus et peuvent se trouver en conflit avec le droit à l’information qui implique que « tout organe de presse dispose du droit d’informer ses lecteurs, par le texte et par l’image, sur un événement d’actualité intéressant l’opinion publique » 999 .

La dignité de la personne humaine est devenue le fondement du droit à l’image. Il reste très subjectif de déterminer ce qui est ou non une image attentatoire à la dignité de la personne humaine. A priori, devient attentatoire à la dignité humaine la diffusion d’une photo permettant de reconnaître la victime saisie dans une situation particulièrement humiliante ou dégradante. Mais la photo n’est pas le seul vecteur de l’image. Elle peut être véhiculée par la publicité, ou encore la télévision, à l’occasion de la diffusion d’informations.

L’article premier de la loi du 30 septembre 1986 énonce :

‘« La communication audiovisuelle est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle ». ’

C’est sur ce fondement que le CSA va pouvoir sanctionner les atteintes à la dignité de la personne humaine.

Par exemple, la diffusion, dans le journal de 20 h de France 2 du 27 février 1997, d’un reportage comportant des images difficilement soutenables de corps d’enfants rwandais massacrés dans un camp de réfugiés, a conduit le CSA à écrire aux responsables de la chaîne. Il leur a notamment rappelé la nécessité en pareil cas de précautions particulières destinées à préserver la dignité de la personne humaine et la sensibilité du public. Regrettant qu’en la circonstance aucun avertissement préalable n’ait été formulé par le présentateur, le Conseil a souhaité qu’à l’avenir, la rédaction de la chaîne exerce une vigilance toute particulière dans ce domaine.

Dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat d’une fillette, France 2 a diffusé le 23 mars 1998, dans son journal de 20 h, le témoignage d’une camarade de la victime. Déplorant la diffusion d’une telle séquence, qui plus est sans avoir pris la précaution de masquer le visage de l’enfant, le CSA a aussitôt saisi les responsables de la chaîne en leur rappelant la vigilance indispensable dont ils doivent faire preuve lors de la diffusion d’images de mineurs placés dans des situations difficiles et parfois attentatoires à la dignité de la personne humaine.

La diffusion le 22 septembre 1998 1000 , dans « Les guignols de l’info », de plusieurs séquences relatives à l’état de santé de J-P Chevènement, puis leur rediffusion les 27 et 28 septembre, ont conduit le CSA à demander à Canal Plus de veiller à l’avenir à ce que le libre exercice de la satire s’accorde avec les dispositions de la convention que la chaîne a signée avec le Conseil. Outre que ces séquences lui sont apparues empreintes d’une forme d’humour des plus contestables, le Conseil a en effet considéré qu’elles constituaient une atteinte à la dignité de la personne humaine.

Entre vie privée, droit à l’image, censure et droit à l’information, la jurisprudence ne cesse d’évoluer pour faire bénéficier de plus en plus le public de son droit à l’information. D’une manière générale, la photographie d’une personne peut désormais être publiée sans le consentement de la personne dès lors qu’elle sert à illustrer un événement d’actualité, comme nous l’avons vu précédemment 1001 . Mais il reste certains domaines où la protection de la victime passe avant le droit à l’information. Il subsiste deux limites à cette diffusion massive de l’information : la dignité de la personne humaine, que nous avons déjà envisagé, et le respect de la présomption d’innocence.

Notes
987.

Voir par exemple : J-P. GRIDEL, « L’actualité et l’utilisation de l’image des personnes impliquées dans un événement relavant de l’information légitime », Recueil Dalloz, 2001, jurisprudence p. 1199.

988.

TGI Paris, 1ère ch., 25 févr. 1998, Légipresse 1998, no 150, I, p. 35.

989.

Cour d’appel de Versailles, 27 janvier 2000, Dalloz 2000, IR p. 146.

990.

Voir par exemple B. Edelman, « La dignité de la personne humaine, un concept nouveau », D. 1997, chr. 185 ; B. Mathieu, « La dignité de la personne humaine : quel droit ? quel titulaire ?  », D. 1997, chr. 282 ; V. Saint-James, « Réflexions sur la dignité de l’être humain en tant que concept juridique en droit français », D. 1997, chr. 61 ; T. Hassler, V. Lapp, « La dignité : le retour!  », Les Petites Affiches no 14 du 31 janvier 1997, p. 12.

991.

A l’issue de la seconde guerre mondiale, le domaine du droit international, qui se bornait aux relations entre Etats souverains a évolué vers une internationalisation de la protection de l’individu. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 insiste sur ce concept dans plusieurs considérants de son préambule et dans son article premier. Quant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il est exact qu’elle ne contient pas les termes de « dignité de la personne humaine », mais elle énonce dans son article 3  : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». La Cour de Strasbourg a défini ce qu’il fallait entendre par «tortures ou peines...  dans l’arrêt Soering du 7 juillet 1989, (CEDH Arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, § 91) à propos de l’extradition d’un ressortissant d’un Etat Membre dans un pays où il risquait la peine de mort. Jusqu’à la Quatrième République, aucune des Constitutions qui se sont succédées en France n’a considéré que la dignité ait besoin d’une protection constitutionnelle. La première référence à la notion apparaît dans la proposition de loi constitutionnelle adoptée le 19 avril 1946 par l’Assemblée nationale constituante. (art. 22 « Tout être humain possède, à l’égard de la société les droits qui garantissent, dans l’intégrité et la dignité de sa personne, son plein développement physique, intellectuel ou moral. La loi organise l’exercice de ces droits »). Cette proposition n’ayant pas été retenue, a été enterrée dans le même temps toute allusion directe à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. La France, peut-être en tant qu’acteur passif de ces atteintes à la dignité, ou par peur d’admettre l’existence de pratiques attentatoires à la dignité humaine et de reconnaître implicitement le régime de Vichy, n’a pas constitutionnalisé la protection de la dignité humaine de façon aussi nette. Alors que la Constitution de 1946 a été la première adoptée après la seconde guerre mondiale, elle ne fait pas de référence précise à la dignité humaine. Pourtant, le préambule de la Constitution de 1946 débute ainsi : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine...» mais ne fait pas de références explicites à la dignité de la personne humaine même si le texte découle directement des atrocités nazies et des crimes contre l’humanité. Il faut attendre 1994 et les lois sur la bioéthique pour que le Conseil constitutionnel tire de la première phrase du préambule de la constitution de 1946 « Le principe de sauvegarde de la Dignité de la Personne Humaine ». Cinquante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, le Conseil constitutionnel a probablement été influencé par les textes internationaux ou européens et les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Force est d’observer que des expressions employées dans le préambule sont un héritage de la notion de dignité; « dégrader la personne humaine », exprime l’idée d’humiliation, d’abaissement et contredit les notions d’honneur, de respect, d’estime, inhérente à la dignité. La dignité semblerait dès lors faire partie de ces droits inaliénables et sacrés. Dans ses propositions de réforme de la Constitution, (« Propositions pour une révision de la Constitution », 15 février 1993, rapport de la Documentation Française, p. 75), le rapport du Doyen Vedel proposait l’intégration de la notion de dignité dans l’article 66 de la Constitution. Inscrire la dignité de la personne humaine dans la Constitution, était appréciable mais l’inclure dans l’article 66 aurait été réducteur ; en effet, cela serait revenu à placer la protection de la dignité humaine sous l’autorité judiciaire, laissant un rôle finalement incertain et imprécis aux juges constitutionnel et administratif. Cette proposition, faite à la suite de l’avis du Conseil d’Etat, fut déplacée à l’article 1 de la Constitution. (Le texte de projet de loi constitutionnelle in La révision de la Constitution, Economica, Paris, 1993 « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ; elle respecte toutes les croyances. Elle assure à chacun le respect de sa vie privée et la dignité de sa personne »). Mais toutes ces réformes n’ont pas abouti.

992.

Cour de cass.1ère civ. 20 février 2001, D 2001, p. 1199.

993.

Cour de cass. 1ère civ, 20 décembre 2000, Dalloz 2001, n° 11, p. 885.

994.

Cour de cass. crim, 21 octobre 1980, D, 1981, jurisprudence p. 72.

995.

Reproduit in Dalloz 2001, n° 15 p. 1199.

996.

C. BIGOT, « Du droit à l’image au droit à la dignité », note sous Cass. 1ère civ. 12 juillet 2001, Recueil Dalloz, 25 avril 2002, Jurisprudence, p. 1380.

997.

Cour de cass.1ère civ. 12 juillet 2001, Bulletin civil 2001 I n° 222 p. 139, La semaine juridique, Edition générale, n° 41, 9 octobre 2002, Jurisprudence, II, 10152, p. 1799 1802, note J. RAVANAS, Revue juridique Personnes et famille (RJPF), novembre 2001, n° 11, p. 10-11, note E. GARAUD.

998.

Voir par exemple C. BIGOT, « Du droit à l’image au droit à la dignité », note sous Cass. 1ère civ. 12 juillet 2001, Recueil Dalloz, 25 avril 2002, Jurisprudence, p. 1380.

999.

TGI Paris, 1ère ch., 15 oct. 1997, Légipresse 1998, no 150, I, p. 35.

1000.

Lettre du CSA n° 110

1001.

Voir par exemple J. RAVANAS, «  Une manifestation publique ne permet pas d’isoler l’image d’un participant », Recueil Dalloz, 2001, jurisprudence p. 2064.