Sous section 2. Le délit de fausses nouvelles élément du droit à l’information

A fortiori, la fausse nouvelle n’est plus de l’information. Si elle peut mettre en péril l’ordre public, sa sanction protégera le droit à l’information, notamment le droit à l’information honnête.

Cette infraction a été instituée par la loi du 27 juillet 1849, reprise dans l’article 27 de la loi de 1881, d’après l’ordonnance du 6 mai 1944 et modifiée par la loi du 15 juin 2000 :

‘« La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros ». ’

La notion de fausse nouvelle est entendue à travers des faits d’actualité, mais aussi des faits anciens inconnus jusqu’alors 1047 . La notion est très difficile à appréhender, notamment lorsque la nouvelle est vraisemblable. Les évolutions technologiques rendent l’information rapide, difficile à contrôler 1048 . En l’absence de définition précise dans les textes 1049 , les juges ont essayé de cerner la notion.

La jurisprudence va donc, dans certaines circonstances, se contenter de la vraisemblance des faits incriminés pour admettre la bonne foi d’un prévenu 1050 . Il a été jugé par exemple que les manifestations d’opinions, même mensongères, ne sont jamais considérées comme de fausses nouvelles 1051 . Si l’inexactitude des propos ne porte que sur des détails, la tonalité de l’article emporte la conviction du juge. Par exemple, un journaliste qui écrit « on a tiré sur la foule » publie une fausse nouvelle même si les bombes lacrymogènes ont effectivement été lancées, car le contexte laisse entendre que des armes à feu ont été utilisées 1052 . Les juges vont apprécier le trouble en tenant compte du climat politique 1053 . La perturbation des relations internationales constitue un trouble à la paix publique 1054 . Mais la paix publique ne concerne pas les intérêts privés 1055 . Enfin, la fausse nouvelle peut s’annoncer indifféremment de manière affirmative ou interrogative. La publication de fausses nouvelles met directement en danger la légitimité du droit à l’information puisqu’elle le dénature de ses qualités intrinsèques ; le pluralisme mais surtout l’honnêteté.

Pour que l’on puisse envisager l’infraction de fausse nouvelle, il faut que les faits publiés soient faux, mensongers, erronés ou inexacts, que la publication ait troublé, ou ait pu troubler, la paix publique, et que l’auteur de cette publication ait agi de mauvaise foi 1056 . La preuve doit être rapportée que les auteurs de la publication savaient que la nouvelle était fausse. La preuve du caractère mensonger 1057 de l’information incombe au ministère public 1058 . Lorsque le caractère de fausseté est manifeste, le ministère public n’aura aucune peine à persuader les juges de la mauvaise foi de l’auteur. Les conditions apparaissent draconiennes.

Il faut bien sûr que l’ordre public ait été troublé ou ait comporté un ferment de trouble, de désordre, panique, émotion collective ou désarroi 1059 . Il faut donc une relation de cause à effet entre la nouvelle incriminée et le trouble qui en est résulté. Le trouble à la paix publique est aussi envisagé dans son élément conditionnel : si la fausse nouvelle n’a pas troublé la paix publique, il n’y a pas de poursuites envisageables, puisqu’il n’y a plus de délits. Si la nouvelle en question a été saisie avant toute publication, il n’y a pas non plus de délit car il n’y a pas eu de publicité de la fausse nouvelle. Il reste une seule hypothèse : l’auteur pourrait être poursuivi au nom de l’élément conditionnel si la fausse nouvelle a été divulguée publiquement mais a fait l’objet d’un démenti officiel immédiat qui l’aurait empêché de produire ses effets.

En ce qui concerne la mauvaise foi, elle peut être déduite de toutes les circonstances de fait, mais il n’existe aucune présomption explicite de mauvaise foi en matière de délit de fausses nouvelles 1060 . Elle se caractérise par la connaissance de la fausseté du fait publié et du trouble qui peut en résulter pour la paix publique 1061 . Jusqu’en 1962, la mauvaise foi ne pouvait se déduire de la négligence à vérifier une nouvelle que l’on publie 1062 , mais de l’invraisemblance de la nouvelle 1063 , ou du nombre et de la précision des mensonges, qui révèlent la volonté d’aggraver une tension. Depuis la décision du 18 décembre 1962 1064 , lorsque la fausse nouvelle a été publiée, la jurisprudence considère le délit constitué, dès lors qu’il s’agit d’un journaliste chevronné qui serait à même de vérifier et de filtrer les renseignements qui lui sont fournis et donc moins susceptible d’être induit en erreur. Cet arrêt introduit une sorte de présomption de responsabilité.

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La protection de l’ordre public permet au droit à l’information de ne pas être dénaturé de son sens. Nous pourrions adapter l’adage « trop de libertés tue la liberté » à l’information : « trop d’informations tue l’information ». Le droit de tout dire aboutirait à n’en pas douter à des dérives, sans limites, l’information ne serait plus honnête et tout simplement ne serait plus de l’information. Le délit de fausse nouvelle illustre d’ailleurs complètement cet état de fait. Mais si la sanction du délit de fausses nouvelles protège intrinsèquement le droit à l’information, les infractions de presse, définies pour la plupart dans la loi de 1881, visant à protéger l’ordre public, risquent de restreindre le droit à l’information. Une fois de plus, les juges internes et européens ne vont pas être d’accord sur les limites à apporter au droit à l’information. L’infraction générant le plus de conflit étant celle relative à l’offense au chef d’Etat étranger.

Notes
1047.

Cour de cass. crim, 15 décembre 1877, DP 1879. 5 328.

1048.

L’épopée médiatique de la guerre du Golfe en est la pleine illustration.

1049.

Voir sur ce point, A. Chavanne, « Le délit de fausses nouvelles », in Blin, Chavanne, Drago et Boinet, Droit de la presse, Litec, fasc. n° 180, août 1998.

1050.

Trib.corr. Lille, 4 février 1959, JCP, 59, IV, 131.

1051.

Cour de cass. crim. 16 mars 1954, Bull Crim n° 11.

1052.

Cour de cass. crim. 28 avril 1950, Bull Crim n° 137.

1053.

Cour de cass. crim. 22 décembre 1955, Bull Crim n° 569.

1054.

Cour de cass. crim. 7 novembre 1963, Bull Crim n° 314.

1055.

TGI Paris, 17 décembre 1986, Gaz. Pal. 1987. p. 1238.

1056.

Cour d’appel de Paris, 18 mai 1988, D. 1990, 35.

1057.

Cour de cass. crim. 11 mars 1965 JCP 1965 IV 55.

1058.

Cour de cass. crim 19 mars 1953 JCP 1953 IV 69

1059.

Cour d’appel de Paris 7 janvier 1998, Legipresse1998 I p. 149.

1060.

Cour de cass. crim. 16 mars 1950 Bull Crim n° 100.

1061.

Cour de cass. crim. 21 juillet 1953, Bull. Crim n° 254 p. 438.

1062.

Cour de cass. crim. 19 mars 1953 JCP 1953 IV 69.

1063.

Cour de cass. crim 7 novembre 1963 Bull Crim n° 314.

1064.

Cour de cass. crim. 18 décembre 1962, Bull. Crim, n° 380, p. 780.