CONCLUSION

Une information libre, honnête et pluraliste est indispensable dans une société démocratique. A partie de ce postulat, la liberté de la presse, la liberté de l’information, a évolué en faveur du citoyen, acteur de la démocratie, jusqu’à lui attribuer un certain droit à l’information.

Mais le droit à l’information n’est pas exempt de paradoxe : alors que la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux lois sur la presse est incontestablement la source du droit à l’information tant pour le juge constitutionnel que le juge judiciaire et administratif, l’expression n’a encore jamais été employée en tant que telle par le Conseil constitutionnel. Pourtant, la doctrine est unanime en faisant découler le droit à l’information des décisions du Conseil constitutionnel. Cette étude démontre d’ailleurs le rôle primordial de la doctrine dans une matière où la technique devance souvent le droit.

L’objet de notre étude était de démontrer comment l’information, d’un objet de droit issu des textes sur la liberté de la presse, est devenue un droit à destination du citoyen, de manière directe par l’octroi d’un droit subjectif (encore inachevé), mais aussi à travers la jurisprudence judiciaire qui tend à faire prévaloir le droit à l’information sur les autres droits ou libertés très protégés jusque-là. Le droit à l’information se situe dans la mouvance des libertés et droits fondamentaux : il s’agit d’un droit fondamental, en passe d’être reconnu pleinement comme droit subjectif au profit du citoyen dans une société démocratique. En ce sens, la notion de démocratie est présente dans la plupart de nos développements, elle est sous-jacente, elle légitime l’affirmation du droit à l’information confronté au droit à la vie privée ou même à la protection de l’ordre public. C’est justement parce que le droit à l’information participe à la définition de la démocratie dans une société que sa reconnaissance est primordiale.

Comme l’explique H. Kelsen, le concept de démocratie « prend les sens les plus divers. Le mot d’ordre démocratie domine les esprits au XIXe et XXe siècle, d’une façon presque générale ; mais précisément pour cette raison, le mot, comme tout mot d’ordre, perd son sens précis » 1185 . Dans le même sens, G. Levau dénonce l’idée de donner une définition a priori d’un régime démocratique pour se recentrer sur la recherche d’un certain stade de démocratie, fondée sur le degré de liberté dont dispose le citoyen pour agir dans le sens d’un développement de l’idéal démocratique 1186 . Le citoyen est au cœur du débat démocratique comme on peut le comprendre dans la plupart des œuvres contemporaines 1187 . Et nous ne reviendrons pas sur l’approche de la démocratie que fait la CEDH à travers ses jurisprudences relatives à la presse et plus particulièrement le pluralisme, inhérent à toute société démocratique 1188 . La reconnaissance du droit à l’information en France participe donc à l’évolution de notre démocratie.

Ce travail met aussi en relief la notion de « fondamental », qu’il s’agisse d’une liberté ou d’un droit. Mais si certaines libertés ou droits sont fondamentaux, cela sous-entend que d’autres ne le sont pas et pose le problème d’une éventuelle hiérarchie. Cependant, il n’existe pas de critères objectifs pour déterminer les droits ou libertés bénéficiant d’une protection supérieure. Le Conseil constitutionnel s’est toujours refusé à toute hiérarchie 1189 , quant à la doctrine, ses positions sont trop disparates pour envisager une classification objective. Plusieurs sources de hiérarchie ont été envisagées mais aucune n’est satisfaisante : la jurisprudence a montré les limites d’une éventuelle supériorité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur les autres principes dégagés par le Conseil constitutionnel issus notamment du préambule de la Constitution de 1946, ou la prédominance du principe permanent et absolu sur celui qui n’est que le reflet d’une époque ; le principe conjoncturel 1190 . On ne peut non plus mettre en parallèle la suprématie de la norme spécifique sur la règle générale 1191 ou encore la prévalence de la norme expressément formulée sur la norme implicite 1192 . Si la supra constitutionnalité a fait l’objet de quelques études 1193 , il en résulte que certains droits semblent intangibles comme le droit à la vie, la protection de la dignité humaine, et la liberté d’expression dont découle le droit à l’information. Nous n’entreprendrons pas de hiérarchisation entre les différentes libertés ou droits, mais nous affirmons que le droit à l’information est un droit fondamental dans une société démocratique, un droit de l’homme, mais peut-être plus encore un droit du citoyen.

Même s’il s’agit ici d’une étude de droit public, il faut bien reconnaître que le droit de la presse d’une manière générale est pluridisciplinaire, au même titre que le droit des libertés fondamentales d’ailleurs 1194 . Droit constitutionnel, administratif, civil, pénal, social, européen sont concernés par le droit à l’information. Cela engendre alors parfois un enchevêtrement de compétences ou de positions entre les juridictions. Notre étude met en lumière les « conflits » latents entre les différentes juridictions. Le droit à l’information semble même être le terrain privilégié de la volonté d’affirmation de la compétence des unes ou des autres juridictions, tant françaises qu’européenne. Les exemples sont nombreux : sur la notion de liberté fondamentale, sur le pluralisme, les voies de recours, le statut des juridictions, les procédures d’urgence, la protection des sources, la vie privée, les infractions d’offense… Finalement, chaque débat que nous avons mené a mis en relief les différences d’appréciation des juges français entre eux, mais aussi vis-à-vis des juges européens. Force est de constater cependant l’influence, parfois tardive mais réelle, de la CEDH sur l’ordre interne en faveur des libertés. Mais ce qui s’apparente à de la concurrence entre les différentes juridictions, voire même au sein d’un même ordre (judiciaire en l’occurrence), peut être préjudiciable à l’existence du droit à l’information. Dès lors, il nous semble souhaitable que le législateur intervienne pour créer un Code de l’information 1195 , avec des règles de déontologie à respecter, et organisant les recours devant un seul juge habilité peut-être à recevoir les actions des associations légitimes de défense du récepteur de l’information. Peut-être ne faut-il plus légiférer ou réglementer en termes de support mais en terme de matière : information ou divertissement.

Se pose alors la question de l’utilité, de la pérennité de la loi de 1881 sur la presse. Même si au fil du temps de nouvelles dispositions sont venues largement amputer ou modifier le texte initial, il apparaît que beaucoup de ses dispositions sont contraires à l’interprétation que fait la CEDH de l’article 10 de la CESDHLF, démontrant peut-être l’archaïsme de cette loi. Mais elle reste un vestige de la culture juridique française, de sa culture de la liberté, malgré son archaïsme. Avant de la supprimer il faudrait au préalable repenser la liberté de la presse. Il serait alors judicieux de l’envisager sous l’angle de l’information, et non pas sous l’angle des différents supports de l’information.

En définitive, en devenant un droit, l’information a participé à la mise en relief des carences de la démocratie française. Le premier pas vers une clarification serait la reconnaissance explicite du droit à l’information par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une jurisprudence sur la presse.

Chamoux sur Gelon, le 23 septembre 2004

Notes
1185.

H. KELSEN, La démocratie, sa nature, sa valeur, Economica, réeed. 1998, p. 15.

1186.

G. LAVAU, « Démocratie », Pouvoirs, 1990, n° 52, pp. 5 42. G. LAVAU, « La démocratie », in Traité de science politique, M. GRAWITZ, J. LECA, P.U.F., 1985, pp. 29-110.

1187.

Les oeuvres de H. ARENDT, C. CASTORIADIS, J. HABERLAS, J. RAWLS, thèses présentées par G. DAVID, La démocratie, Mémoires et perspectives d’un projet politique, Editions du temps, Paris 1998, p. 114-158.

1188.

CEDH, l 7 décembre 1979, Handyside ct RU, Série A, n° 24.

1189.

Voir par exemple D. BREILLAT,« La hiérarchie des droits de l’homme », Mélanges P. Ardant , Droit et politique à la croisée des cultures, L.G.D.J., 1999, 507 p., pp. 353-372, F. MODERNE, « Y a-t-il des sources complémentaires de la Constitution dans la jurisprudence constitutionnelle française? », L.P.A., 7 octobre 1992, n°121, pp. 7-15.D. TURPIN « Le traitement des antinomies des droits de l’homme par le Conseil constitutionnel », Droits, 1985, n° 2, pp. 85-97.

1190.

F. GOGUEL, « Objet et portée de la protection des droits fondamentaux-Le Conseil constitutionnel français », in Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, L. FAVOREU (dir.), Actes du IIème colloque d’Aix en Provence, 19, 20 et 21 février 1981, Faculté de droit et de science politique d’Aix Marseille, Economica P.U.A.M., Coll. Droit public positif, 1982, pp. 224239.

1191.

V. SAINT JAMES, La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public français, Th., Droit public, Université de Limoges, n° 93, .PU.F., 1995, 476 p.

1192.

J. MEUNIER, Le pouvoir du Conseil constitutionnel. Essai d’analyse stratégique, Paris, Bruylant L.G.D.J., Coll. La pensée juridique moderne, 1995, 3 73 p.

1193.

L. FAVOREU, « Supraconstitutionnalité et jurisprudence de la juridiction constitutionnelle en droit privé et en droit public français », RLDC., 1993, n° spécial, vol. 15, p. 461-471, G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n°67, p. 7997.

1194.

Ce qui, en tant que publiciste, nous a causé quelques soucis, il faut bien l’avouer…

1195.

D’autant plus que la création de «Code» semble à la mode : le Code du sport, de l’éducation, le Code de déontologie des sages-femmes…