Introduction

Lorsqu’il s’agit d’enseigner une langue, la question du traitement de l’erreur se pose d’emblée comme un point fondamental de la démarche didactique. En effet, tout enseignant s’est déjà posé la question de la démarche à adopter face à une production erronée. Si le problème de l’erreur écrite est parfois abordé dans la littérature didactique, qui laisse présager l’importance de ne pas sanctionner, systématiquement, tout écart vis à vis de la norme, il n’en est pas de même pour la question de l’oral, trop souvent oubliée, et pourtant fondamentale.

De fait, la dimension spontanée de la production orale la rend difficilement maîtrisable pour les enseignants, qui doivent prendre en compte de multiples facteurs, absents à l’écrit. Il est en effet plus simple, stylo en main, d’analyser une production écrite et de se poser la question des éléments à annoter, que d’intervenir en temps réel sur l’énoncé d’un apprenant. Dès lors, il existe, par simplification, deux tendances contradictoires adoptées par les enseignants face à l’erreur de l’apprenant : certains, dans un souci de guider les élèves au plus prêt de la correction linguistique, choisiront une correction systématique, souvent immédiate ; d’autres, au contraire, désireux de créer un climat de confiance dans la classe et de laisser s’épanouir les échanges verbaux, préfèreront éviter les corrections le plus souvent possible. La question de l’attitude à adopter face à l’erreur orale semble donc essentielle lorsqu’on envisage ces deux conceptions opposées. Faut-il ou non corriger l’erreur, et si oui, de quelle façon ? Existe-t-il des traitements de l’erreur plus efficaces que d’autres pour favoriser l’apprentissage en classe de langue, notamment dans le cadre d’un groupe hétérogène ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons choisi d’analyser une situation de classe concrète et souvent problématique en France : l’enseignement du français en Centre Social, auprès d’un public hétérogène et plurilingue de migrants adultes. En effet, il nous est apparu impensable d’élaborer une réflexion a priori sur la question du traitement de l’erreur, tant ce point s’avère varier selon les situations d’enseignement-apprentissage, les profils des apprenants, la démarche des enseignants et leurs objectifs. Par conséquent, nous préférons partir d’une situation concrète qui guidera nos réflexions et nous permettra, progressivement, d’élargir nos recherches à l’enseignement des langues en général.

Nous avons ainsi assisté, durant cinq mois, au cours suivi par une quinzaine de femmes de niveau perfectionnant, au Centre Social des Etats-Unis (Lyon 08), les lundi et jeudi après-midi : cela nous a permis de constituer un corpus intéressant d’enregistrements de classe, très utile pour ce travail, puisqu’il nous a offert la possibilité de mener a posteriori une analyse des données, recueillies sur une période relativement importante. Notre choix de privilégier ce groupe s’est effectué de prime abord par le biais d’une observation, au cours de laquelle nous avions constaté à quel point l’oral était central dans ce groupe, du fait de l’objectif général de l’institution : créer un espace d’intégration et de dialogue, et permettre à ce public d’acquérir le plus rapidement possible un « français de survie » pour la vie quotidienne. De plus, le choix d’un groupe de niveau perfectionnant nous a permis d’éviter la question de l’alphabétisation, fondamentale, mais trop éloignée de la question du traitement de l’erreur orale : les activités de lecture restaient présentes dans ce groupe, mais à un niveau relativement avancé. Enfin, cette observation préalable nous avait permis de constater que les deux enseignantes bénévoles, intervenant simultanément, suivaient face à l’erreur orale les deux tendances contradictoires décrites plus haut : nous pensions ainsi nous trouver dans la situation idéale pour analyser notre problème. Or, nous le verrons au cours de cette étude, les attitudes des enseignantes se sont avérées plus complexes, ce qui n’est pas sans donner davantage d’intérêt aux données recueillies : sans doute du fait d’une influence mutuelle, ou de notre présence, leurs réactions face à l’erreur ont évolué au fil du temps, tendant à s’homogénéiser et à devenir identiques pour chaque enseignante, mais également à se diversifier. Cela nous a ainsi permis de mettre au jour un certain nombre de démarches courantes dans l’enseignement.

La question de l’erreur en production orale s’avère d’autant plus intéressante en Centre Social que le public présent y est fortement hétérogène : le plurilinguisme dû aux nombreuses nationalités présentes, l’âge variable des apprenants, leurs différents niveaux oral et écrit rend la question du traitement de l’erreur orale davantage épineuse qu’avec un public homogène. Le groupe choisi pour nos recherches n’échappe pas à cette règle, et nous avons ainsi pu voir se dessiner approximativement trois profils oraux parmi les femmes présentes : le public FLE (Français langue étrangère), constitué de femmes nouvellement arrivées mais ayant été scolarisées dans leur pays d’origine, donc capables de progrès rapides ; les femmes immigrées autonomes ou scolarisées au préalable, maîtrisant un très bon niveau de français oral malgré un lexique restreint ; enfin, les femmes peu autonomes, immigrées de longue date, mais ayant fixé une langue orale peu intelligible du fait d’une intégration défaillante dans la société française. Il va de soi que ces trois profils, rassemblés dans un groupe-classe, compliquent la tâche de l’enseignant désireux d’adopter face à l’erreur orale une attitude favorisant l’apprentissage de tous : toutefois, la fréquence de cette situation dans les associations d’aide aux migrants confirme l’intérêt de nos analyses. De plus, cette situation spécifique permet, parallèlement, de s’interroger sur l’enseignement des langues en général, car elle comporte de nombreuses similitudes avec la plupart des situations d’enseignement-apprentissage.

En conséquence, nous mènerons dans ce travail une réflexion sur la question du traitement de l’erreur de production orale en classe hétérogène et plurilingue : une première partie théorique nous permettra d’exposer les différentes conceptions de l’erreur dans les théories d’apprentissage, préalable nécessaire à notre étude de cas. Un second temps sera consacré à l’analyse de notre corpus, qui nous permettra d’effectuer une typologie critique, non exhaustive, du traitement de l’erreur : nous tâcherons alors dedéterminer l’impact de chaque traitement sur l’apprentissage, et de cerner les points à retenir pour favoriser les acquisitions. Enfin, un juste retour à la littérature théorique nous permettra de tirer les conclusions didactiques de nos analyses, et de proposer des pistes pour un traitement efficace de l’erreur en production orale. Ce faisant, nous ne pourrons nous passer de réflexions plus générales sur la démarche d’enseignement, qui conditionne de façon évidente le traitement de l’erreur adopté par un enseignant.