1.1. L’erreur dans une approche béhavioriste : la correction immédiate et systématique

Le béhaviorisme, théorie d’apprentissage plutôt que méthode didactique, se développe dans les années 1950-60. Elle aura de nombreuses conséquences sur l’enseignement des langues étrangères, et ce jusqu’à ce jour, notamment en ce qui concerne la conception de l’erreur dans l’apprentissage.

Selon cette théorie, l’individu est conditionné par son environnement : tout apprentissage est conçu comme une formation de l’habitude. Ainsi, à un stimulus déclenché par l’environnement, l’individu va produire une réponse, qui sera renforcée par une nouvelle réaction de l’environnement (feedback). Le renforcement sera alors positif ou négatif selon l’impact qu’il aura sur l’individu : dans le cas d’un renforcement positif, la réponse tendra à réapparaître ultérieurement dans le cas d’un stimulus identique, alors qu’elle tendra à disparaître si le renforcement est négatif.

L’exemple bien connu du rat de Skinner illustre parfaitement cette théorie : un rat affamé est enfermé dans une cage qui comporte un levier. Lorsqu’on actionne ce levier, une boulette de nourriture est donnée à l’animal. Dans ses recherches effrénées de nourriture, le rat va explorer la cage, et appuyer par hasard sur le levier. Progressivement, ses efforts vont l’amener à faire plusieurs fois l’expérience de l’appui sur ce levier, qui systématiquement lui offrira une boulette. Après quelques essais, le rat sera conditionné par ces renforcements positifs et appuiera de plus en plus rapidement sur le levier chaque fois qu’il aura faim. Il aura ainsi réalisé un apprentissage par renforcements successifs. On obtient le schéma :

Cet apprentissage peut, selon les théories concernées, être appliqué aux humains et par conséquent à l’enseignement des langues : il conviendra alors de multiplier les situations de renforcement positif dans la classe, qui produiront la mémorisation des structures langagières par l’individu. L’individu est donc considéré comme purement réactif, le fonctionnement cognitif n’étant pas pris en compte par ces recherches.

En conséquence, dans l’enseignement des langues, l’erreur est à éviter à tout prix. Son apparition présente en effet deux risques majeurs qui seraient des obstacles à l’apprentissage :

  • D’une part, en l’absence de réaction de l’environnement, c’est-à-dire, dans la classe de langue conçue de façon béhavioriste, de l’enseignant, l’erreur risque d’être renforcée, et donc automatisée. En effet, l’absence de réaction équivaut à un renforcement positif, l’élève pensant avoir répondu correctement. Il faut donc corriger immédiatement toutes les erreurs des apprenants pour éviter qu’elles ne réapparaissent lors d’un stimulus identique. En tout état de cause, jamais un énoncé erroné ne devra être repris par l’enseignant ni par aucun élève, sans quoi il pourrait être automatisé. Il conviendra même, au mieux, de faire répéter la séquence juste à l’apprenant pour une meilleure mémorisation.
  • D’autre part, si l’erreur apparaît trop souvent, on court le risque de démotiver l’élève par la multiplication des feedback négatifs, c’est-à-dire des réactions conséquentes à l’erreur. Les renforcements négatifs successifs vont affaiblir les connexions qui ont lieu dans le cerveau de l’élève entre une situation et la réponse produite : le feedback étant désagréable, l’élève pourra tendre à ne plus répondre pour l’éviter, donc, selon cette conception, à ne plus apprendre. En effet, l’apprentissage n’a lieu qu’en cas de renforcements positifs puisqu’ils sont la condition d’une automatisation : il convient donc d’exposer l’élève à un maximum de feedbacks positifs. Par conséquent, on évitera de lui faire produire des énoncés trop difficiles, de façon à ne pas laisser l’erreur surgir. Cette conception de l’enseignement est fort bien décrite par Goanac’h, qui affirme que :
‘« Pour que ce renforcement se produise effectivement, il faut que dans la quasi-totalité des cas l’élève soit amené à produire une réponse exacte : on doit donc concevoir les acquisitions à réaliser de manière très progressive, pour éviter au maximum les erreurs de l’apprenant. »
D. Gaonac’h, 1991, pp. 21-22.’

Ainsi, dans cette optique, les conceptions béhavioristes ont donné lieu à certaines recherches didactiques basées sur l’idée centrale que l’on n’apprend pas en faisant des erreurs. Par exemple, Skinner propose l’enseignement programmé : il s’agit de livres dans lesquels tout est décomposé en étapes minimales, visant à obtenir une réponse toujours exacte, avec vérification immédiate par l’élève, qui correspond au renforcement positif.

On verra aussi se développer, dans les années 1950, l’analyse contrastive, principalement sous l’influence de Lado. L’idée est que les erreurs viennent de transferts des habitudes prises en langue maternelle vers celles de la langue étrangère. Il s’agit alors d’analyser toutes les interférences possibles pour prévoir les erreurs et établir une gradation dans la méthode permettant d’éviter les erreurs, et ce en fonction de la langue maternelle des apprenants.

Enfin, le béhaviorisme influence la méthodologie audio-orale, conçue dans les années 1960. Cette méthodologie est basée sur la répétition systématique de modèles oraux et le bannissement de la langue maternelle pour éviter les transferts. L’idée de correction immédiate pour une vérification immédiate y est toujours présente, le tout étant d’amener l’élève à automatiser ses savoirs.

Ainsi, on le voit, l’approche béhavioriste proscrit l’erreur en classe de langue et envisage l’apprenant comme un organisme réactif. Aucune place n’est laissée à la réflexion ou cognition : l’apprentissage n’est qu’un conditionnement, et ne peut être obtenu que par renforcement immédiat.

Si cette théorie est aujourd’hui largement controversée, on n’en trouve pas moins les traces dans la démarche de nombreux enseignants. Une correction immédiate systématique, une tendance à faire répéter l’énoncé juste, ou à éviter de reprendre l’erreur pour l’analyser, la répétition insistante de l’élément à retenir comme pour en imprégner l’apprenant, l’absence de prise en compte des processus d’apprentissage ne sont que quelques exemples de cette influence, sur lesquels nous reviendrons par le biais de notre typologie (cf. 2.2.).