1.4. Comment, dès lors, corriger l’erreur ? De la nécessité du signalement

Les différentes conceptions développées ci-dessus posent problème dans de nombreuses situations concrètes d’enseignement. En effet, l’existence d’une interlangue ou d’un système en construction est aujourd’hui globalement acceptée : ce thème est abordé dans les études de Français Langue Etrangère ou dans les ouvrages récents issus de l’approche communicative. Ainsi, Ch. Tagliante affirme-t-elle dans son ouvrage la Classe de langue :

‘L’erreur « n’est que la manifestation de ce que l’on appelle l’interlangue, c'est-à-dire l’état de maîtrise provisoire de la langue étrangère en train de se former. L’erreur fait partie intégrante de cette langue intermédiaire entre les balbutiements du départ et l’état de maîtrise relative final. C’est donc par ses erreurs que l’apprenant progresse, qu’il teste ses hypothèses de fonctionnement du système nouveau qu’il est en train de se créer. ».
(Tagliante, 1994 : 40).’

Cependant, et malgré ces considérations qui reconnaissent à l’apprenant la capacité de construire son savoir par et grâce à ses erreurs, on rencontre de nombreux enseignants qui témoignent d’une peur de l’erreur, conçue comme un élément néfaste et le signe que l’enseignement précédemment réalisé, la leçon, n’ont pas été acquis. Ces enseignants, en général, adoptent alors vis à vis de l’erreur une attitude de sanction qui ne peut en aucun cas être favorable à l’apprentissage.

En effet, si on tente de réunir sur ce point les théories béhavioristes et les travaux sur l’interlangue, force est de constater qu’elles s’accordent sur un point, et peut-être un seul : il faut corriger l’erreur. C’est leur conception des risques de l’absence de correction qui diffère uniquement : dans le premier cas, l’individu réactif va automatiser la « faute », dans le second, l’individu, conscient et pensant, va fossiliser des règles erronées par la confirmation d’hypothèses fausses. L’erreur est donc proscrite dans le béhaviorisme, mais valorisée dans les travaux récents. Ainsi,

‘« Considérer (…) l’erreur comme une première approche, certes encore insuffisante, de la norme, comme une « hypothèse d’apprenant », c’est (…) adopter le point de vue de l’apprenant, c’est adopter la perspective selon laquelle entre le stimulus et la réaction, il y a le travail de l’apprenant, lieu véritable de l’acquisition progressive des normes grâce à un traitement cognitif de l’information. »
Bange, 1992, p. 80.’

Ce point nous paraît important car il semble que cette différence fondamentale n’est pas toujours perçue par certains enseignants, sensibles aux méthodes actuelles et désireux de bien faire, qui refusent de corriger l’erreur par peur de bloquer l’apprenant dans sa production. Cette opinion est loin d’être absurde : repensons en effet à nos années scolaires lorsque la peur de parler supplantait l’effort d’essayer… La correction de l’erreur est, on ne peut le nier, un facteur très courant de démotivation. Dès lors, quelle attitude adopter vis à vis de l’erreur pour favoriser l’apprentissage ? Comment redonner à l’erreur son statut de moyen d’apprendre ?

Dans son article paru dans la revue Aile en 1992, mais dont les fondement restent très actuels, P. Bange analyse cette question en partant d’observations de classes, et montre que plusieurs problèmes sont en jeu.

‘« Toute manipulation de la communication qui fait de « la faute » ce qui doit à tout pris être évité ou qui consiste à éliminer ab ovo la faute, favorise l’emploi de conduites de réduction et d’évitement et n’est donc pas favorable à l’apprentissage »
Bange, 1992, p. 67.’

Ainsi, pour répondre à la question de savoir s’il faut ou non corriger l’erreur, Bange souligne qu’effectivement la correction peut bloquer l’apprenant dans sa communication, mais que :

‘«  La menace [de la face] ne naît de la prise de risque que si le LN [locuteur natif] adopte un comportement de sanction qui fait de lui un juge, une autorité punissante, et incite le LNN [locuteur non natif] à éviter la sanction par des stratégies négatives, ce qui le conduit donc à cesser d’être un candidat-apprenant. »
Bange, 1992, p. 68.’

Dès lors, il existe selon l’auteur deux types de correction de l’erreur : celle qui menace la face de l’apprenant, correction-injonction « de modifier un énoncé dans le sens imposé par la règle, que celle-ci soit formellement énoncée ou qu’elle soit seulement implicite dans l’énoncé que l’autorité substitue à l’énoncé fautif ; injonction de modifier un énoncé », et celle qui incite « à chercher et à tester de nouvelles hypothèses », correction-incitative bénéfique à l’apprentissage (1992 : 80). Or, selon l’auteur, lorsque le second type de correction n’est pas possible, il est plus judicieux de s’abstenir de corriger : le faire revient en effet à exclure la faute et à surévaluer la forme en réduisant l’impact de la communication.

Ainsi, comme on le voit, il semble s’avérer nécessaire d’apporter une remédiation à l’erreur, sans quoi l’apprenant n’aura pas la possibilité de tester ses hypothèses et risquera une fossilisation. Cependant, toutes les corrections ne sont pas favorables à l’apprentissage, d’où l’importance d’un questionnement sur ce point. Ces considérations s’appliquent aussi bien aux erreurs écrites qu’orales : cependant, il paraît évident qu’il est plus facile de revenir avec un apprenant sur sa production écrite, dans la perspective d’une évaluation formative, que sur une production orale. En effet, l’oral, dans sa caractéristique spontanée et non modifiable, peut difficilement être retravaillé, à moins d’un enregistrement au magnétophone. Que faire, dès lors, en production orale ? Si les analyses ci-dessus nous montrent l’importance du signalement de l’erreur, il n’en reste pas moins à voir quel type de signalement fonctionne le mieux, ce que nous tenterons de faire par le biais de notre corpus.