2.1. Eléments préalables à l’étude du corpus

Pour constituer notre corpus, nous avons fait le choix de suivre un groupe d’apprenants sur plusieurs mois, de façon à obtenir des données aussi variées que possible, sans courir le risque d’une réduction due à une investigation trop courte. Ainsi, pour chaque cours auquel nous avons participé, nous avons procédé à un enregistrement audio, tout en notant parallèlement nos observations. Cette démarche nous a permis de sélectionner 10 enregistrements de 2 heures chacun, de février à juin 2004. Enfin, nous avons fait un travail de sélection des extraits pour constituer notre corpus, qui comporte la transcription de 76 séquences contenant des erreurs orales, pour un total approximatif de 133 erreurs manifestes 2 .

Devant le nombre d’extraits relevés, nous faisons le choix d’un tableau récapitulatif des types d’erreurs produites et des réactions des enseignants. Après un bref commentaire, ce tableau nous servira de point d’appui pour notre typologie, dans laquelle nous sélectionnerons et commenterons des extraits caractéristiques. Ainsi, le tableau nous offre une vue d’ensemble des extraits en termes de fréquence d’apparition, et les analyses de séquences permettront de revenir sur les types de corrections et de voir lesquelles semblent s’avérer les plus favorables à l’apprentissage.

Tableau récapitulatif du corpus :
Types d’erreurs
Correction
Phon. / lecture Syntaxe/ gram. Lexique Compr/ sens Autres langues Mauvaise réponse autres panne total
Correction immédiate

par reprise, répétition
ou avec explication
forte
Avec prise 13 5 5   Refusée
4
1 Ton 3 3 34
Sans prise 6 6 8 4   1 1   26
discrète
Avec prise 2 5 3           10
Sans prise 4 11 5     1     21
Invitation à répéter 2 4             6
Correction différée
par discrimination 4       sollicitée
1
      5
explicative   2 3 1     2   8
Autocorrection 1               1
Correction par un pair 2               2
Absence de correction 3 9   1 Omise
2
  Jeu rôle 5+   20
total 37 42 24 6 7 3 11 3 133

Il est à noter que ce tableau n’a aucune prétention scientifique, mais vise à simplifier notre démarche en donnant une idée d’ensemble des données recueillies. En effet, le classement des types d’erreurs ne peut être considéré comme immuable puisqu’une erreur peut comporter plusieurs dimensions (par exemple à la fois phonétique et grammaticale) : il a donc fallu choisir, à chaque fois, l’élément prépondérant à inscrire dans le tableau. De plus, nous sommes consciente que certains types d’erreurs ou de correction sont plus à même d’être relevés que d’autres. Par exemple, l’absence de correction ne peut pas être constatée à chaque fois, puisqu’elle correspond par essence à une absence de réaction des enseignants : le chiffre obtenu est donc nécessairement inférieur à la réalité. Enfin, certains éléments apparaissant dans le tableau n’ont pas été privilégiés lors de la constitution du corpus : les pannes, par exemple, sont beaucoup plus fréquentes qu’il n’y paraît dans le tableau ; elles suscitent néanmoins chez les enseignants des réactions similaires à celles relevées ici. Par conséquent, les données du tableau n’ont qu’une visée indicative visant à simplifier notre démarche : elles ne permettent pas de généraliser la survenue des types d’erreurs au sein de la classe mais mettent néanmoins en évidence certaines tendances. Nos observations sur le terrain nous permettent en effet d’affirmer que les résultats obtenus correspondent, en termes de statistiques, à la réalité observée. Le commentaire de ce tableau va ainsi nous permettre, avant l’étude d’extraits proprement dite, de révéler certaines considérations qui nous sont apparues lors de notre présence dans le groupe, et qui ont conditionné notre perspective d’étude. Les entrées du tableau seront explicitées au fur et à mesure de l’analyse de corpus, lors de la présentation des extraits.

Tout d’abord, nous aimerions préciser que notre tableau ne rend pas compte du type d’erreur rencontré par rapport au type de production (libre, guidée, semi-guidée), car cette donnée ne nous a pas paru significative au vu de notre corpus : en effet, il nous est apparu que la production guidée était prépondérante dans les cours, même lors des temps d’expression libre fréquents, puisque les enseignants intervenaient dans la conversation pour réparer les pannes, questionner, etc. Dans l’ensemble, nous pouvons affirmer que les deux enseignantes corrigeaient l’erreur de façon semblable quel que soit le type d’activité. On note notamment dans le tableau la forte prépondérance de la correction immédiate, forte ou discrète, avec un total de 91 sur 133 erreurs, soit environ 68,5 %.

Notons cependant que les corrections immédiates étaient moins courantes pendant les temps de parole libre que lors de la réalisation d’activités fortement guidées. Cette donnée est confirmée par le fait que les 20 absences de correction observées apparaissent le plus souvent dans des moments de communication réelle (discussion) ou simulée (jeu de rôle). Ce point nous paraît justifié et salutaire : tout d’abord parce que l’interlangue de certaines femmes, surtout au niveau syntaxique, rendrait impossible la correction exhaustive, et ensuite parce qu’il semble évident, comme le signifiait Ch. Tagliante (cf. 1.5.) qu’il n’est pas bon d’interrompre un apprenant qui cherche à s’exprimer.

En ce qui concerne les types d’erreurs, nous avons préféré les consigner dans le tableau plutôt que de faire entrer cet élément dans la typologie qui va suivre. En effet, notre étude est basée essentiellement sur la question du traitement de l’erreur, et, au vu de la régularité des réactions observées, il nous paraît peu utile d’en faire une distinction dans l’analyse d’extraits. Nous pouvons néanmoins constater, grâce au tableau, que les reprises sur la forme sont, de loin, les plus courantes : on atteint un total de 88 relances formelles en additionnant toutes les corrections (immédiate, différée, invitation à répéter) pour les erreurs de phonétique / lecture, syntaxe et lexique, soit, sur 133 erreurs, environ 66 %. Nous reviendrons ultérieurement sur les autres types d’erreurs, qui nous intéressent, malgré leur faible fréquence d’apparition dans ce cadre, pour les réactions qu’elles suscitent et l’intérêt qu’elles comportent pour l’enseignement en général 3 .

Notes
2.

Nos conventions sont explicitées en annexe. Dans tous les cas, nous avons conservé l’initiale du prénom des apprenants mais changé, pour des raisons évidentes de confidentialité, le prénom employé. Les abréviations P1 et P2 renvoient respectivement aux deux enseignantes observées. Lorsqu’elle apparaît, l’observatrice que nous sommes a été désignée par P3. Nous avons utilisé l’initiale D pour les apprenants (Dames), lorsque nous ne connaissions pas l’identité du locuteur : ainsi, Ds signifie plusieurs dames en même temps. Le point d’interrogation est utilisé quand l’intervention est indéterminée. Nous avons également fait le choix de séparer sur deux colonnes les interventions des enseignants et celles des apprenants afin de pouvoir visualiser le temps de parole accordé à chacun.

3.

Précisons cependant que la catégorie erreur socioculturelle (confusion de données culturelles, sociales ou stratégiques par généralisation de sa propre culture), qui aurait pu être intéressante, n’a pas été mentionnée : nous n’avons pas relevé d’exemple particulièrement flagrant de ce type, soit parce que le niveau perfectionnant des apprenants limitait leur apparition (séjour de plusieurs années en France ou scolarisation importante), soit parce que les activités n’étaient pas propices à ce genre d’erreurs. Il se peut enfin que notre observation, qui n’était pas ciblée précisément sur ce point, ait inconsciemment omis leur présence.